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la terre, il nous semble que, dans le passage cité, la phrase mise en italique donne raison à l’astronome de Milan.

Dans la thèse de Démocrite, le mouvement le plus rapide est celui de la sphère céleste ; les vitesses des planètes décroissent des plus lointaines aux plus voisines de la terre. Dans le système du Timée, le mouvement le plus rapide est encore celui des fixes ; mais les vitesses propres des planètes décroissent des plus voisines de la terre aux plus lointaines. Pour Ecphante enfin, la vitesse des mouvements célestes décroit régulièrement à partir de la terre, jusqu’à la sphère des fixes, qui est immobile. C’est donc bien ce dernier système qui est le plus exactement contradictoire de la thèse attaquée par Platon.

Si nous allons d’ailleurs chercher dans l’Epinomis (987, b) les indications données sur la véritable pensée du maître par son disciple le plus fidèle, nous la trouvons toujours enveloppée des mêmes réticences ; mais le voile en est cette fois un peu plus transparent :

« Il faut mettre à part le huitième (la sphère des fixes), qu’on peut de préférence dénommer le monde supérieur, qui se meut en sens contraire de tous ces autres et les entraîne, à ce qu’il semble du moins aux hommes peu instruits de ces choses. Mais il faut parler, et nous parlons suivant ce qu’il suffit de savoir ; car ce qu’est en soi la sagesse apparaît ainsi en une certaine manière même à celui qui ne participe que faiblement à l’intelligence du vrai et du divin. »

On ne peut certes demander un témoignage plus précis en faveur de l’adoption définitive par Platon du système d’Ecphante, si l’on réfléchit à la ligne de conduite que le philosophe suivait rigoureusement à l’égard des préjugés populaires. N’oublions pas au reste que cette ligne de conduite était suffisamment motivée par les persécutions qu’avait déjà subies la vérité, et qu’un siècle plus tard Aristarque de Samos se vit accusé pour ses opinions, comme dix-neuf cents ans après devait l’être Galilée pour la même doctrine.

Sans nous astreindre rigoureusement, dans cette étude, à une époque déterminée, nous avons essayé de retracer quelques-unes des étapes qu’a suivies la science astronomique dans les longs et pénibles détours de l’erreur à la vérité ; nous avons vu la pensée de Platon parcourir ces voies moins avec la hardiesse du novateur, qu’avec la réserve d’un sceptique à large vue. S’il n’a point sur ce domaine, comme pour les mathématiques pures, marqué pour l’avenir la trace puissante de son génie, au moins il a touché des lambeaux de la vérité que l’antiquité sut découvrir, mais qu’elle laissa échapper pour en léguer la gloire à l’âge moderne.

(À suivre.)

Paul Tannery.