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ception mécanique, par l’invention des sphères ἀνελιττούσαι, Platon semble, jusqu’à la fin de sa vie, ainsi que nous le verrons, garder son esprit libre et prêt à accueillir toute idée neuve qui paraîtra lui offrir quelque intérêt pour ses tendances intimes. Il ne pouvait, certes, jouer aucun rôle qui fût plus favorable au progrès de la science.

On se demandera peut-être si sa croyance à l’irréductibilité des anomalies dans les phénomènes était en concordance rigoureuse avec ses principes métaphysiques, si son esprit n’était pas, pour les lois des astres, comme hanté du vieux rêve des mythes barbares, la lutte de l’ordre contre le désordre, des dieux célestes contre les monstres toujours vaincus, jamais détruits. Nous n’aborderons pas cette discussion, nous nous contenterons de montrer qu’il est resté fidèle jusqu’au bout de sa carrière à la croyance dont il s’agit et que nous lui avons vu affirmer dans la République.

La doctrine du Timée sur le semblable (mouvement diurne), et sur l’autre, l’ensemble des mouvements non diurnes et plus ou moins irréguliers, laisse subsister dans toute sa force, en face du principe de l’unité, cette négation, ce refus d’astreindre rigoureusement la matière aux lois de l’idée.

Mais c’est surtout au Xe livre des Lois (p. 897) que nous voyons Platon, dans sa dernière œuvre, développer la même pensée, là où l’on devrait peut-être le moins s’y attendre. Il veut précisément appuyer les dogmes religieux sur le spectacle du ciel ; après avoir affirmé que l’âme est antérieure au corps, l’avoir posée comme principe universel, du bien comme de son contraire, il dit qu’elle s’étend et habite dans tout ce qui se meut et qu’elle doit donc gouverner aussi le ciel. Mais y en a-t-il une ou plusieurs ? Plusieurs, répond-il, deux au moins : l’une bienfaisante, l’autre contraire ; le mouvement régulier (diurne) de la sphère céleste, le plus conforme à la raison, dépend exclusivement de l’âme la meilleure ; là où il n’y a pas d’ordre ni de rapport régulier, domine l’ἀνοία. Les conséquences de cette thèse sont inéluctables, et si la nécessité de ne pas blasphémer les dieux célestes[1] oblige Platon à ne pas mettre ses conclusions en pleine lumière, nous avons le droit de le faire sans scrupule. L’ἀνοία, conséquence nécessaire de l’autre, comme l’autre est la conséquence de l’un, s’étend dans tout le monde, sauf à la sphère supérieure des fixes ; les planètes y sont donc soumises dans une certaine mesure,

  1. Nécessité d’autant plus grande qu’il trouve sans doute leur culte plus pur et plus raisonnable que celui des dieux populaires, et qu’il voudrait peut-être substituer le premier au second. Cette tendance est, comme on sait, très nettement accusée dans l’Épinomis, qui, à cet égard, forme le complément logique de l’ensemble des Lois.