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TANNERY. — l’éducation platonicienne

plus belle œuvre de l’art, mais il trouvera ridicule qui croirait devoir s’y appliquer pour y saisir dans leur vérité les rapports d’égal, de double ou de toute autre mesure… Le véritable astronome n’est-il pas de même devant les mouvements des astres ? Il pense que c’est l’œuvre la plus admirable qu’ait pu faire l’artisan du ciel et de ce qu’il renferme ; mais, s’il s’agit du rapport de la nuit au jour, des deux au mois, du mois à l’année, et de ceux des révolutions de tous les astres, ne jugera-t-il pas absurde celui qui croirait que ces rapports restent toujours invariablement les mêmes, ne subissent aucune irrégularité, quand ils sont entre des corps, des objets visibles, celui qui voudrait, de toute manière, y chercher la vérité ? »

Certes, dans ce passage bien connu, mais que nous avons cru devoir remettre devant les yeux du lecteur, on voit affirmer nettement le besoin de dégager, de l’observation confuse des faits, des lois simples et mathématiques qui mettent l’ordre à la place du chaos. Mais, en même temps, est déclaré impossible le succès absolu de toute tentative à cet égard ; il ne faut pas chercher plus qu’une certaine approximation ; les anomalies dans les phénomènes matériels sont nécessairement irréductibles. L’exagération d’un tel dogme n’irait à rien moins qu’à nier la science ; en tout cas, Platon nie expressément la constance dans la durée des révolutions des astres, Or cette constance, dont au reste, à cette époque, l’imperfection des observations pouvait très raisonnablement faire douter, c’est précisément le point de départ d’Eudoxe.

Pour refuser d’adopter le système de son contemporain, Platon avait d’ailleurs divers motifs ; non seulement l’explication mécanique répugnait aux tendances de son esprit ; mais, déjà sans doute imbu des doctrines pythagoriciennes, il ne lui convenait guère de déduire de l’expérience les données arbitraires d’un système cosmique. Il eût rêvé de les tirer à priori de lois numériques simples, dût-il ne pas se trouver d’accord avec les phénomènes. Rien d’étonnant dès lors que, dans le mythe d’Er, il ait, d’une part, fait abstraction même des variations en déclinaison, que de l’autre il ait fait intervenir les à coups irréguliers de la main des Parques pour mettre en branle le monde de la Nécessité.

Si grand que fût le génie de notre philosophe, il est clair qu’il s’engageait là dans une voie périlleuse ; mais il a su se garder du danger, et la position qu’il a prise lui a permis d’ailleurs de se maintenir dans une réserve dédaigneuse vis-à-vis des nouveaux systèmes qui auraient pu le séduire. Tandis que son disciple, Aristote, embrasse sans réserve les hypothèses d’Eudoxe, et qu’il essaye même d’y apporter un perfectionnement théorique, au point de vue de la con-