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des sphères, des vitesses de rotation et des inclinaisons, peut être dirigée de façon à se mettre d’accord avec les phénomènes, et Eudoxe y avait brillamment réussi, eu égard aux connaissances de son temps. Digressions en latitude, stations, rétrogradations, tout se trouvait expliqué par cette combinaison de rotations uniformes de sphères concentriques.

Ce système était naturellement appelé à une grande vogue ; d’ailleurs il se prêtait aux perfectionnements successifs que pouvaient réclamer les progrès de l’observation. Il suffisait d’augmenter le nombre des sphères de telle ou telle planète, comme le fit Callippe. Quoique, pour les prévisions des mouvements, la complication des calculs soit plus grande qu’avec le système des épicycles, adopté plus tard par Hipparque et par Ptolémée, celui d’Eudoxe aurait pu se maintenir pendant toute l’antiquité, car il avait, outre l’appui d’Aristote, l’avantage d’offrir une explication mécanique plus satisfaisante, s’il avait pu résister aux preuves de la variation de la distance entre la terre et les astres, et notamment à la découverte du changement de diamètre apparent du Soleil et de la Lune, preuves que les progrès de la science devaient établir ultérieurement, mais que l’âge de Platon ne soupçonnait pas[1].

Mais était-ce bien un pareil système que rêvait notre philosophe ? fût-il jamais tenté de l’adopter, comme le firent nombre de ses amis ou disciples[2] ? Il faut, avant de se prononcer, relire ce qu’il dit au livre VII de la République (p. 529, 530) :

« Quand ceux qui marchent en philosophie traitent de cette science (l’astronomie), ils me semblent tout à fait regarder par terre… Cette variété du ciel, puisque nous la percevons par le sens de la vue, nous devrions penser que si elle est la plus belle, la plus régulière qui puisse être dans son genre, elle n’en est pas moins de beaucoup inférieure à la véritable, à la vitesse réelle plus ou moins grande, suivant le vrai nombre, suivant les vraies figures des mouvements qui entraînent réciproquement tout ce qui leur est lié ; cela, c’est la raison, la διανοία qui le saisit, et non pas la vue… Il faut donc se servir comme exemple de cette variété céleste pour apprendre ce qui concerne cet objet de la pensée. De même, devant des dessins, dus au plus habile travail d’un Dédale ou de tout autre artiste ou peintre, un homme connaissant la géométrie pourra les regarder comme la

  1. Le système d’Eudoxe était encore en pleine vigueur au temps d’Archimède, qui dut l’adopter dans le célèbre engin qu’il construisit pour figurer les mouvements célestes. Les derniers coups lui furent, semble-t-il, portés par l’astronome Sosigène, le réformateur du calendrier au temps de Jules César.
  2. Avant Aristote, il faut citer Ménechme, l’inventeur des sections coniques.