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grande prudence. Si notamment, comme dans le Phèdre, nous ne rencontrons que des images vagues et incohérentes, si nous y soupçonnons des allégories ou des symboles, se rapportant à un tout autre ordre d’idées, il ne faut prétendre en rien tirer pour celui qui nous préoccupe ici. Qu’elles nous reportent aux croyances homériques, ou à d’autres semblables, plus ou moins naïves, il est bien clair que Platon, sorti de l’enfance, ne pouvait plus considérer des opinions de ce genre autrement que comme de grossières erreurs.

Mais si, au contraire, un mythe, comme celui d’Er le Pamphylien au livre X de la République, présente des allusions cosmologiques précises et détaillées, dont la combinaison nous apparaît comme sérieusement étudiée, et sous lesquelles ne peut certainement se cacher aucun dogme métaphysique, nous avons le droit de leur attribuer une réelle importance pour notre sujet. En revanche, il conviendra d’écarter, dans le même mythe, toutes les images qui offriraient un autre caractère ; aussi ne nous attacherons-nous pas à la description de ce lieu divin, où l’on voit deux ouvertures de la terre et deux ouvertures du ciel, ni à cette colonne de lumière qui soutient et embrasse le monde, mais bien à ces pesons (σφονδύλοι) que traverse le fuseau de la Nécessité.

Ce sont huit anneaux cylindriques (κάδοι), emboîtés au contact les uns dans les autres, et dont l’ensemble constitue comme un modèle en petit de l’univers. La verge intérieure et immobile qui remplit le creux intérieur est ainsi un cylindre et correspond à la terre. C’est une négation catégorique des formes sphériques de l’école pythagoricienne ; quoique Platon ait déjà, dans la République, subi l’influence d’Empédocle et de Philolaos, il reste encore fidèle à la constante tradition des Ioniens ; la terre est plate et immobile au centre du monde.

Nous croyons trouver ici une preuve sérieuse que le livre X, dont plusieurs érudits ont voulu retarder la date de composition par rapport aux autres parties de la République, a été écrit non seulement avant le Timée, où la sphéricité de la terre et du ciel est si nettement affirmée, mais même avant le Phédon, où Socrate, après avoir dit qu’il a cherché dans les livres d’Anaxagore s’il fallait croire que la terre fût plate ou ronde, déclare être partisan de la seconde de ces deux opinions[1].

Si nous nous demandons quelle est la source première d’où découle cette conception des anneaux cylindriques du mythe platonicien, nous ne pouvons méconnaître la doctrine d’Anaximandre ; la sirène

  1. Nous savons par un texte formel d’Aristote (De cælo, II, 13, 9) qu’Anaxagore et Démocrite défendaient encore la première.