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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

bornons à indiquer la connexité des problèmes et la montrer que les solutions négatives viennent, ici comme ailleurs, de la même source.

En résumé, Hume est resté embarrassé de doutes, il a manqué de rencontrer la paix intellectuelle qu’il cherchait, il a fait de vains efforts pour ramener sa pensée à l’unité, parce qu’il a poursuivi partout l’analyse à outrance. Ce tour d’esprit l’a empêché de quitter à temps des vues abstraites et fragmentaires pour embrasser par une synthèse féconde les réalités concrètes. Il dépeint très bien lui-même cette tendance fâcheuse ; nous ne nous contentons pas, dit-il en parlant des vérités mathématiques, d’imaginer une plus grande exactitude dans nos expériences et de les corriger les unes par les autres ; « nous concevons enfin-un étalon d’une correction et d’une exactitude telles qu’il ne soit pas sujet à la moindre erreur vu variation ; » cet étalon n’existe pas ; mais, « lorsque l’imagination est entrée dans un ordre de pensées, elle est capable de continuer même lorsque son objet lui fait défaut, tout comme une galère, mise en mouvement par les rames, poursuit sa course sans avoir besoin d’une nouvelle impulsion. » C’est ainsi en effet qu’en demandant pour le monde extérieur une existence absolue, Hume fut conduit à douter de son existence, et que d’autre part il en vint à nier l’unité concrète du moi et sa réalité par éloignement pour les entités transcendantes des anciens psychologues. Cet esprit si tempéré dépassait la mesure dans la critique dès que l’idée lui venait qu’il pouvait être trop crédule. Dans la formation de la philosophie moderne, il appartient à la période où il s’agissait avant tout de faire place aux reconstructions futures ; ceux à qui incombe le soin de réédifier doivent être plus circonspects.

On ne peut agir sans croire. Et, comme de tout temps il a fallu agir, à aucun moment on n’a pu se dispenser de croire. « Le grand destructeur du pyrrhonisme ou scepticisme poussé à l’excès, c’est l’action, c’est le mouvement, ce sont les occupations de la vie commune » (Essais philosophiques). Seulement autre chose est de croire par force, sans le congé de la raison et même en dépit d’elle, autre chose de croire en ayant pour soi sa raison et en ne laissant à l’instinct que ce qu’on ne peut lui enlever. L’état le plus avantageux pour l’humanité n’est certainement pas de penser par jeu (p. 570) et d’agir par contrainte ; son but est d’arriver à se conduire d’après les enseignements de la science et d’éclairer en toutes ses démarches l’action par la pensée. À ce prix seulement, l’accord peut se faire, entre la philosophie et la morale, entre la spéculation et la pratique trop souvent séparées. À cette condition, la nature humaine peut retrouver son assiette, du moins pour un temps, et entrer dans ce