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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

rience. Bref, ce serait renoncer à une connaissance concrète pour une abstraction. L’existence en général, hors de toute affirmation d’un être sensitif, l’existence telle que ne la perçoivent ni les hommes ni les animaux, telle que la concevrait la pensée pure, c’est une pure chimère, et voilà pourquoi ceux qui la poursuivent encore, même à leur insu, comme Hume, tombent dans des contradictions sans fin.

On le voit, la raison, guérie des illusions transcendantes, réduite à son rôle de régulatrice des expériences, est d’accord avec les sens en ce qui concerne l’existence du monde extérieur. Pour ces deux facultés, qui ne sont en réalité que les deux phases successives d’une même pensée, le monde existe réellement tel qu’il est connu, pour cette raison décisive qu’exister et être pensé c’est la même chose. Le scepticisme n’a aucune prise sur une doctrine qui se borne à l’énonciation d’un fait.

2o L’existence du moi n’est pas envisagée par Hume, bien qu’il s’en défende, dans un esprit moins sceptique. Nous avons donné plus haut une idée suffisante de sa doctrine, Au passage cité ajoutons seulement celui-ci : « Il est évident que nous n’avons ici qu’à appliquer la méthode qui nous a réussi pour rendre compte de l’identité des plantes et des animaux, et des vaisseaux el des maisons, et de toutes les productions composées, sujettes au changement soit de l’art, soit de la nature. L’identité que nous attribuons à l’intelligence de l’homme n’est que fictive et d’espèce semblable à celle que nous attribuons aux corps des animaux et des végétaux » (p. 339). Il y a cependant une différence à signaler. L’identité humaine n’est pas la même que celle d’un arbre et encore moins celle d’une maison ; l’arbre et le bâtiment sont déclarés les mêmes, ou identiques, d’après l’idée que nous avons de l’identité ; c’est celle-ci qui est le type des autres. Et nous faisons une différence encore entre l’identité des autres hommes et celle d’un animal, qui comme la nôtre sont fondées sur la mémoire, et celles d’une maison ou d’un vaisseau qui sont jugées du dehors. Les premières existent véritablement, du moins une légitime analogie nous autorise à le croire ; les secondes n’existent pas ; et il est à peine douteux que la plante, n’ayant ni conscience ni souvenir, est privée de l’identité subjective, la seule réelle. Pour nous, si nous n’étions pas conscients, nous n’aurions aucune notion de l’identité ni de l’unité ; car, si nous disons qu’un objet est un, est le même, c’est que nous avons puisés dans la qualité commune des éléments de la conscience d’appartenir au moi, l’expérience de ce mode d’existence. Mais, dit Hume, cette identité et cette unité ne sont que des rapports ; donc il n’y a