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lois ; si cette connaissance aboutit à se démentir elle-même, c’est donc, disent-ils, qu’elle n’est qu’un moment dans le développement de l’intelligence et que la démarche suprême de la pensée consiste à embrasser l’absolu. Il est nécessaire au contraire qu’une doctrine positive — tout le monde reconnaît que Hume est l’ancêtre des positivistes contemporains — écarte toutes les contradictions de la connaissance scientifique du monde, pour montrer qu’elle se suffit à elle-même, pour prouver que l’homme peut s’y établir d’une manière durable et y demeurer en paix. Voyons donc s’il est vrai que le scepticisme ait le dernier mot dans la théorie des facultés spéculatives de l’homme. Et pour cela examinons non seulement les arguments sceptiques de Hume, mais encore quelques-uns des principaux arguments de même sorte que le progrès des sciences a fait surgir depuis.

Il ne sera pas inutile de remarquer d’abord que de tout temps les philosophes se sont plu à découvrir des contradictions dans les choses, soit pour réfuter leurs adversaires en les réduisant à l’absurde, soit simplement pour prouver la force de leur dialectique. Dès avant Socrate l’esprit humain était en travail pour s’embarrasser lui-même, et il avait fait si bien que personne en fin de compte, au milieu des arguties entassées, ne s’entendait plus dans les écoles grecques. La dextérité des raisonneurs devint telle qu’aucune doctrine ne pouvait tenir debout, quelque raisonnable qu’elle fût ; les apprentis en philosophie débutaient par se faire un jeu de contredire et de dérouter leurs parents, leurs maîtres eux-mêmes ; on en vint à soutenir que rien ne pouvait être affirmé de rien ; toute proposition, toute pensée devint impossible. Sans parler des disputes éternelles du moyen âge, à quoi voyons-nous la philosophie occupée, dès qu’elle renait ? Précisément à mettre l’esprit à la question, à rendre toute science illusoire. Montaigne triomphe de mille et mille contradictions, imaginaires ou réelles. Pascal ne réussit pas moins à ce jeu, qui chez lui prend un aspect tragique. En combien de choses humaines, imagination, divertissement, gloire, amour, vertu, justice, science, raison, ne relève-t-il pas de flagrantes absurdités ! Le dix-huitième siècle voulut lui aussi goûter la joie de détruire quelqu’une des œuvres que la croyance instinctive avait édifiées, et il frappa un peu au hasard les fantômes et les réalités vivantes, sans se demander s’il n’y a pas une analyse destructive à côté de l’analyse salutaire et libératrice. Enfin Kant, en écrivant les antinomies, crut à tort que c’était le seul point où le pour et le contre parviennent à s’équilibrer quand on se plaît à les mettre en balance. À vrai dire (Hegel l’a bien vu), il n’est pas une idée, pas une thèse