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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

général des choses, et par la même raison la société humaine éprouvent de ces révolutions graduelles, elles sont trop lentes pour pouvoir être discernées dans cette courte période que renferme l’histoire et la tradition. La stature et la force du corps, la longueur de la vie, le courage même et l’étendue du génie paraissent jusqu’ici avoir été naturellement les mêmes dans tous les siècles. Aussi loin donc que l’observation peut s’étendre, on ne distingue aucune différence universelle dans l’espèce humaine » (Id.). Cependant il n’est presque pas douteux que, la superstition et les hypothèses métaphysiques une fois écartées, « nous pouvons espérer d’établir un système ou ensemble d’opinions coordonnées, sinon vrai, au moins capable de donner satisfaction à l’esprit humain et de soutenir la preuve de la critique la plus sévère » (p. 337 du Traité). Le progrès des lumières à déjà entrainé celui des arts et des mœurs. « Les sentiments d’humanité paraissent avec plus d’éclat à mesure que les mœurs des hommes s’adoucissent et que leurs connaissances s’étendent. » En même temps que les sentiments affectueux forment des groupes sociaux plus considérables, la justice y devient plus nécessaire et y est aussi mieux connue et plus respectée ; le luxe lui-même, tant de fois maudit par des moralistes ignorants, établit entre les hommes des divers pays une solidarité plus étroite, et le développement de l’industrie et des richesses qui l’accompagne, rendant les citoyens indépendants de leurs anciens maîtres, affermit les libertés publiques. Somme toute, les hommes sont plus nombreux, plus raisonnables, meilleurs, mieux gouvernés et plus heureux qu’autrefois (Essai sur le luxe et sur la population, passim).

III. Principes de l’action. — L’homme peut tirer de la science, c’est-à-dire de l’expérience, des principes d’action certains. Pourvu qu’il sache borner son ambition à l’usage de ses facultés naturelles et à l’emploi des ressources que lui offre le monde, dans cette vie pour laquelle il est fait, il ne saura pas moins sûrement se diriger que ne le fait l’animal ; car la nature ne refuse à aucun être les moyens de suffire à sa véritable destinée. Ses facultés ne sont ni au-dessus ni au-dessous de ses besoins. « Les pouvoirs de l’homme ne sont pas plus supérieurs à ses besoins, considérés uniquement au point de vue de cette vie, que ne le sont ceux des renards ou des lièvres, comparés à leurs besoins et à la durée de leur existence. » Comment, dans ces limites, une morale est-elle possible ? quel sera pour la nature humaine ainsi comprise le fondement du devoir ?

« La question est une question de fait, non de science abstraite, et nous ne pouvons avoir l’espoir de la résoudre qu’en pratiquant la méthode expérimentale et en faisant sortir les maximes générales