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nement, et engendrent d’autres personnes qui donnent suite à la même république, avec un changement incessant de parties. Et comme il arrive qu’une même république individuelle non seulement change quant aux membres dont elle se compose, mais qu’elle peut encore changer de lois et de constitution, ainsi la même personne peut varier dans son caractère et sa manière d’être aussi bien que pour ses impressions et ses idées, sans perdre son identité » (p. 342). L’identité de la personne repose donc sur le rapport de ses pensées, et, comme ses pensées sont parallèles aux mouvements de son corps, sur le rapport des diverses parties de son organisme. La simplicité prétendue de la personne humaine est une illusion qui dérive de l’unité de ce groupement. « Pour ma part, dit Hume, lorsque j’entre au plus intime de ce que j’appelle moi, je me heurte toujours à telle ou telle perception particulière de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de plaisir ou de peine. Je ne surprends jamais mon moi dépouillé de toute perception ; je n’observe jamais rien que la perception. Si quelqu’un croit avoir une autre idée de lui-même, j’avoue que je ne puis discuter plus longtemps avec lui. Il est possible qu’il perçoive quelque chose de simple et de permanent qu’il appelle lui-même ; mais je suis bien certain, quant à moi, de ne pas posséder un principe de cette nature. » D’où cette conséquence que, lorsque les perceptions se dissocient, la personne disparaît. Le sort de l’homme est sur ce point le même que celui des animaux. « Les animaux certainement sentent, pensent, aiment, haïssent, veulent et même raisonnent, bien que plus grossièrement que les hommes. Est-ce que leurs âmes aussi sont immatérielles et immortelles ? » Il ne saurait être d’ailleurs question de châtiments dans une autre vie pour des êtres dont les actes ne sont que la suite de l’enchainement nécessaire de leurs pensées.

Tout l’univers est donc régi par les mêmes lois, celles qui déterminent le groupement et la dissociation des corps. « Il y a peu de fondement, soit par la raison soit par l’expérience, de croire univers éternel et incorruptible… Tout concourt à nous prouver fortement la nature périssable de ce monde et son passage par corruption et dissolution d’un état à un autre. Il faut donc qu’il ait successivement son enfance, sa jeunesse, son âge viril et sa vieillesse aussi bien que chaque individu qu’il contient, et il est probable que l’homme, de même que les animaux et les végétaux, aura part à toutes ces variations » (Essai sur la population). L’humanité s’observe elle-même depuis trop peu de temps pour qu’on puisse dire avec certitude à quel point de son développement elle est parvenue. « Si le système