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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

constatées ; car, « encore bien que nous n’ayons qu’une expérience unique de tel effet particulier, nous en avons des millions pour être convaincus de ce principe : que des objets semblables, en de semblables circonstances, produiront toujours de semblables effets » (p.142).

Ainsi, directement ou indirectement, le jugement par lequel nous unissons l’effet à la cause dans le présent el dans l’avenir dérive de la coutume ; il a donc sa source dans l’esprit, et la succession constante n’en est que l’occasion. « Quoique les différents cas semblables qui donnent naissance à l’idée de pouvoir ne s’influencent pas mutuellement et ne puissent produire aucune qualité nouvelle dans l’objet, laquelle devienne le modèle de cette idée, l’observation de cette ressemblance ne laisse pas de produire une impression nouvelle dans l’esprit. Cette dernière est le mode réel… Les différents cas de conjonctions semblables sont totalement distincts les uns des autres et n’ont d’union que dans l’esprit qui les observe et assemble leurs idées. Sa nécessité (l’idée de connexion nécessaire) est donc l’effet de cette observation ; elle n’est qu’une impression interne de l’esprit ou une détermination à porter nos pensées d’un objet à un autre. » En d’autres termes, c’est une association d’idées habituelle (p. 219 et suiv.). L’empirisme de Hume est, on le voit, un idéalisme critique : un idéalisme où les relations subjectives qui unissent les idées, au lieu d’apparaître comme une déduction à priori et par conséquent arbitraire, sont rattachées à l’expérience. Il faut bien en effet que la correspondance qui s’établit par là entre l’être pensant et son milieu ait sa raison d’être « ans le monde, si elle en a une.

Mais là pas plus qu’ailleurs il n’y a de dernière raison. Pourquoi l’esprit s’attend-il à retrouver en connexion les objets semblables quand une fois il les a observés unis de la sorte ? D’où vient la coutume ? Quel est le principe de l’association des idées ? Comment expliquer cette adhésion de l’esprit à l’idée d’un retour possible des mêmes phénomènes ? Sur quoi fondera-t-on la croyance en un mot ? Ici le précurseur de Kant redevient ou plutôt se montre ce qu’il ne cesse d’être nulle part, le continuateur de Shaftesbury et de Hutcheson, le philosophe écossais par excellence. La croyance aux associations habituelles est la même chez les hommes et chez les animaux. Loin de dépendre chez nous de la faculté raisonnante, « elle est un acte de la partie sensitive de notre nature » (p.213). Loin de constituer le plus haut des principes rationnels et d’être en quelque sorte la clef de voûte d’un système de la raison pure, « elle n’est autre chose qu’une espèce d’instinct ou de puissance mécanique qui agit en nous à notre insu et dont les principales opéra-