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croyances, les problèmes d’ordre transcendant ; mais il n’est pas moins supérieur à ces philosophes de notre temps qui opposent aux questions métaphysiques une fin de non-recevoir et suppriment toute philosophie pour avoir le droit de condamner celle de leurs adversaires.

Comment sommes-nous conduits à concevoir une substance identique et simple sous les apparences phénoménales ? Quand les qualités distinctes et successives formant un seul groupe, et constituant par là un objet, changent lentement et sont remplacées insensiblement par des qualités analogues, le changement graduel ne détruit pas l’impression que cet objet est le même : « Toute succession de qualités ainsi liées est facilement considérée comme un objet unique continué, existant sans aucun changement. » Mais supposons que cet objet se présente à nous après un long intervalle, alors que plusieurs de ses qualités ont considérablement varié sans que les autres aient subi un assez grand changement pour nous le faire croire entièrement différent de lui-même ; l’objet sera à la fois le même, à la fois autre. « Pour concilier ces contradictions, l’imagination a le pouvoir de créer quelque chose d’inconnu et d’invisible qu’elle suppose demeurer le même sous ces variations, et ce quelque chose d’inintelligible, elle l’appelle substance » (p. 290) ; elle en fait le principe de l’identité. Elle crée de même une chose simple pour expliquer l’accord des qualités diverses qui empêchent l’objet d’être un, comme il avait semblé l’être d’abord (p. 291). Au fond de ces jugements, quand on a fait la part de l’illusion, il reste des relations observées par l’esprit entre des qualités qui lui sont apparues successivement ou simultanément. La réalité ne nous offre pas autre chose. De même encore, aucune action ne passe d’un corps à un autre, aucun phénomène ne peut être dit produit par un autre phénomène, en ce sens qu’il s’’échapperait du premier une vertu qui passerait dans le second. La succession constante fait seule la causalité ; l’opinion qu’un phénomène est effet par rapport à un autre considéré comme sa cause dépend uniquement de ce que l’un a toujours été observé en connexion avec l’autre, c’est-à-dire en contiguïté dans l’espace et dans le temps. Dès la première expérience d’une telle connexion, l’attente d’une rencontre semblable naît dans l’esprit : cette attente se fortifie à mesure que les expériences se renouvellent. À priori, tout est possible ; un fait quelconque peut produire un fait quelconque ; mais, pour un esprit enrichi des leçons de expérience, non seulement tous les phénomènes connus sont rattachés à des causes déterminées, mais tout phénomène qui apparaît tombe sous une loi dès que ses connexions avec un antécédent sont dûment