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ment s’accommode de ce procédé de substitution ou plutôt d’exemplification : il n’en est pas exposé pour cela à de plus grandes erreurs ; car il lui suffit, quand une seule image le trompe par sa particularité, de parcourir successivement un certain nombre d’exemples ou types, de manière à les corriger l’un par l’autre et à bien voir en quoi ils se ressemblent. « Telle est donc la nature de nos idées abstraites et de nos termes généraux, et c’est de cette façon que nous expliquons le paradoxe précédent : que certaines idées sont particulières dans leur nature, mais générales dans leur représentation. »

Ces derniers mots nous livrent la véritable pensée de Hume. La négation de la généralité des idées en est le côté paradoxal. Il faut comprendre au contraire que les idées générales existent, mais que ce sont de pures aptitudes à parcourir des séries d’images particulières, de simples tendances qu’ont les représentations similaires à se reproduire sur l’appel du signe auquel elles sont associées. Hume ne méconnait pas la fusion qui s’opère à la longue entre les représentations presque semblables ; il soutient seulement deux choses : 1o que les notions ainsi produites par l’effacement des circonstances particulières ont pour origine la perception d’objets particuliers ; 2o que les notions générales sont pensées à l’aide d’exemples déterminés qui deviennent les substituts de toute la classe. Dans ces limites, sa théorie ne paraît pas loin de la vérité ; elle est fortement soutenue par son auteur sur le point même où elle paraît le plus faible, à savoir en ce qui concerne les idées mathématiques.

Il semble évident en effet que les concepts mathématiques ne sont pas postérieurs aux objets particuliers auxquels nous les appliquons. Et c’est sur cet ordre de concepts que se sont appuyés de préférence les platoniciens de tous les temps pour conclure à l’existence éternelle de types généraux, antérieurs à toute expérience. Hume considère ces concepts comme dérivés eux-mêmes de l’expérience, « u du moins de l’activité de l’esprit s’exerçant sur les données de l’expérience. Il va même plus loin : il attribue à l’expérience l’étoffe même dans laquelle ces concepts sont en quelque sorte taillés, à savoir l’espace et le temps

Nous ne pouvons entrer dans le détail de sa conception de la matière. Il nous suffira de dire d’une manière générale que, selon lui, l’espace et le temps ne sont pas perçus pour l’un ou l’autre des sens, mais que leurs idées naissent dans l’esprit par une expérience interne, quand il perçoit les rapports des impressions ; ces idées sont celles « du mode ou de l’ordre dans lequel les objets existent ». L’étendue pure, le temps pur n’existent pas ; nous pouvons les pen-