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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

ment des écoles issues de l’un et l’autre système. Tandis que la théorie de Kant, par son apriorisme radical, tout plein de tendances scolastiques, commence une nouvelle ère de métaphysique transcendante, celle de Hume, pénétrée de l’esprit moderne, orientée vers l’empirisme des temps nouveaux, donne naissance à une philosophie scientifique dont les affinités avec les sciences de la nature se révèlent chaque jour plus clairement. Mais nous devons entrer dans le détail de cette théorie, pour en faire comprendre la portée ; on va voir qu’elle est beaucoup plus simple que celle de Kant et qu’elle explique les choses au moins aussi facilement, sans recourir à ce laborieux échafaudage de formes, de concepts et d’idées, si bien fait, en dépit des précautions de son architecte, pour porter une philosophie de l’absolu comme couronnement. Que veut Kant en somme, sinon ouvrir du côté des facultés morales une voie plus sûre à la recherche de l’absolu, et pourquoi s’élève-t-il contre Hume, si ce n’est précisément parce que celui-ci eût voulu décourager à jamais les esprits de le poursuivre ?

Tout d’abord, Hume adhère aux vues de Berkeley sur la nature des idées ; par là, il coupe court à la superstition platonicienne, dans laquelle le chimérique évêque de Cloyne devait retomber à la fin de sa vie. Il n’y a pas d’idée abstraite proprement dite. Toutes nos idées sont, en tant qu’impressions affaiblies, des images d’objets individuels, individuelles comme eux. Elles sont donc déterminées en qualité et en quantité, c’est-à-dire que l’intensité de leur qualité et le degré de leur quantité sont déterminés. L’existence des idées dites générales s’explique néanmoins facilement ; « quand nous avons trouvé une ressemblance entre plusieurs objets qui se présentent souvent à nos yeux, nous leur appliquons à tous le même nom, quelque différence que nous puissions observer dans les degrés de leur quantité et de leur qualité, et en général quelles que soient les différences qui paraissent entre eux. » Une habitude naît ainsi en nous de passer du terme à l’un ou à l’autre des objets similaires auxquels il est associé. Mais, par cela même qu’ils sont semblables, ces objets, très nombreux d’ordinaire, se brouillent et se confondent dans l’imagination ; nous ne pouvons dès lors nous les figurer distinctement tous à la fois, ni les parcourir tous successivement ; et, quand le mot résonne à nos oreilles, il nous suggère, en vertu de l’habitude acquise, seulement quelques-uns d’entre ces objets. Le groupe tout entier est donc dans l’esprit en puissance, non réellement et en fait. Il finit par être représenté par les images individuelles qui nous sont le plus familières et qui tiennent la place de toutes les autres, ce qui abrège le travail de l’esprit. Le raisonne-