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ce sont les facultés et les pouvoirs de l’homme qui en jugent ; à plus forte raison la logique, la morale, l’esthétique et-la politique. » On saura donc par l’investigation des idées de notre intelligence quelle est la limite imposée à chaque ordre de notre faculté de connaître. Cela fait, on aura touché le terme, et il ne faudra rien rechercher au delà. Car nous ne saurions sortir de notre nature ; de quelque côté que nous nous tournions nous rencontrons toujours entre nous et les choses nos idées, et jamais nous ne touchons les choses mêmes.

Maintenant, « de même que la science de l’homme est le seul fondement solide pour les autres sciences, ainsi le seul fondement solide que nous puissions donner à cette science elle-même est l’expérience et l’observation » (p. 5). La science de l’esprit est « l’une des branches des sciences naturelles ». C’est une des gloires de la nation anglaise d’avoir appliqué à la connaissance de l’esprit la méthode qui a conduit ses savants à de si belles découvertes dans le champ de la nature ; il n’y a plus de doute sur l’efficacité de cette méthode. Son emploi est le meilleur recours contre le scepticisme, car elle offre des résultats assez positifs et assez sûrs pour satisfaire la plus avide curiosité. Distinguer les diverses opérations de l’esprit, les ranger sous certaines classes, « tracer comme la carte géographique de l’âme », c’est ce que les philosophes écossais ont commencé à faire, c’est ce qui peut certainement s’effectuer avec du temps et beaucoup de soin, pourvu que l’on renonce, en cette science comme en d’autres, à la poursuite des principes ultimes. Renonciation facile, car une fois que l’impossibilité de les atteindre est démontrée, le désespoir produit le même effet que la satisfaction : dans les deux cas, le désir s’évanouit (p. 6).

Une recherche ainsi conduite montre que la limite de l’intelligence est l’expérience même. Ceci n’est point seulement un postulat autorisé par le renouvellement de toutes les sciences qui l’ont accepté, et leurs rapides progrès. C’est une vérité qui se démontre par l’analyse des idées sur lesquelles s’est appuyée de tout temps la métaphysique pour pénétrer dans le monde des réalités transcendantes.

Hume est conduit de la sorte à cette mémorable critique de l’esprit humain que Kant, quoi qu’on en pense d’ordinaire, ne nous parait pas avoir surpassée. Hume (comme Kant le fera à son exemple) place dans l’esprit l’origine des principes de la connaissance et les fait dépendre de la nature du sujet pensant ; mais, suivant lui, ces principes ne sont pas conçus à priori ; ils résultent d’une expérience subjective et naissent dans l’esprit au contact des choses. La différence est profonde ; elle éclate dans le développe-