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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

le verrons, une influence considérable : il la domine et en marque l’apogée[1].

L’envisageant comme Écossais, nous n’avons pas à exposer sa philosophie tout entière ; notre tâche se borne à mettre en relief quelques points de son système et à montrer par là quels progrès l’Ecole à laquelle il appartient à réalisés au bénéfice de tous dans la conception scientifique de l’esprit humain et du monde.

I. Théorie de la connaissance. — C’est l’aversion de la théologie scolastique, c’est le désir de se débarrasser des fantômes monstrueux, enfantés par l’imagination des docteurs, qui donna l’impulsion à la pensée de Hume. Il poursuit en cela l’œuvre d’affranchissement commencée par ses devanciers immédiats ; mais il se rattache aussi par ce trait à l’antique adversaire de la superstition, à celui que Lucrèce met au-dessus des dompteurs de monstres légendaires, à Épicure. Tant que durera l’empire des superstitions populaires et des métaphysiques qui les supportent, il n’y aura de repos ni pour l’esprit ni pour le cœur. Il faut donc attaquer l’ennemi dans son repaire et, « pour affranchir la science une fois pour toutes de ces questions abstruses », pour délivrer les esprits qui étouffent « sous le poids des préjugés et des craintes superstitieuses », « détruire la fausse métaphysique. » À dire vrai, Hume veut détruire non seulement la métaphysique des théologiens mais la religion elle-même. Smith déteste le clergé en presbytérien, Hume en philosophe. Personnellement, il compte des amis parmi les clergymen ; mais, visant à l’affranchissement total de la raison, il souhaite la disparition de toute Église.

Le seul moyen de bannir les illusions troublantes « est d’examiner avec soin la nature humaine et de montrer par une analyse exacte de ses pouvoirs et de ses facultés qu’elle n’est point faite pour s’élever à des sujets aussi ardus et aussi transcendants. » Il s’agit de limiter la portée de l’intelligence de manière à la dissuader à jamais de prendre son essor vers des régions inaccessibles. L’analyse de l’entendement est le fondement de la vraie métaphysique. En effet, l’esprit humain contient les principes de toute science, « Même les mathématiques, la philosophie naturelle et la religion naturelle dépendent en quelque façon de la connaissance de l’homme, puisqu’elles sont comprises dans la connaissance humaine, puisque

  1. Voir sur Hume l’excellent travail historique de M. Compayré : La philosophie de D. Hume, Paris, Thorin, 1873, et le livre de Huxley, Hume, sa philosophie, Paris, Baillière, 1880. Nous nous servons pour la première partie du Traité de la nature humaine et des Éssais de la traduction remarquable de MM. Pillon et Renouvier, précédée d’une introduction très intéressante.