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avait coutume de dire que nulle part ses raisonnements n’avaient été mieux compris que dans ce cercle de jeunes Écossais. Hume fut donc tout naturellement informé de ses conclusions et pénétré de son influence, lui-même a pris soin de nous dire le cas qu’il faisait de l’explication berkeleyenne des idées générales, où il voit « l’une des plus grandes et des plus importantes découvertes qui aient été faites en ces dernières années dans la république des lettres (trad. Pillon, page 29). Mais l’idéalisme qu’il lui emprunte ne sera plus mis au service de la foi. L’intolérance ecclésiastique avait semé en Écosse comme ailleurs des semences de révolte, et déjà les théistes anglais poussaient presque jusqu’au scepticisme leurs attaques contre les doctrines de l’école. Glanvill en 1665, dans sa Scepsis scientifica ou l’Ignorance reconnue, chemin de la vérité, avait nié que nous puissions percevoir aucune cause. Les Essais de Collins, dirigés contre la croyance commune à la liberté morale, sa lettre à Clarke (1708) où il combat, après Coward et Dodwell, l’immortalité de l’âme, lui avaient valu le surnom de libre penseur. Ajoutons à ces influences l’impression persistante des ouvrages de Hobbes, et nous comprendrons l’extension croissante de l’incrédulité dans ce milieu même où grandissait Hume. À côté de lui, dans son district, David Dudgeon allait être traduit devant le Presbytère, puis devant le Synode pour la hardiesse de sa théologie naturelle, où se mêlaient les idées de Berkeley et celles de Spinoza. En voilà assez pour justifier, en ce qui concerne la genèse de la philosophie de Hume, la loi de continuité qui s’applique à la naissance des plus puissants esprits comme des plus faibles, et pour nous faire voir en lui le représentant de toutes les grandes doctrines immédiatement antérieures, Leibniz excepté. Mais avant tout Hume reste Écossais ; il n’y a aucune raison de le considérer comme un génie hors cadre et de le séparer des philosophes ses compatriotes et ses amis. Comme eux, il fonde sur l’expérience la psychologie, la morale et la politique ; comme eux, il croit que la portée de l’esprit est limitée et nie que l’objet de la connaissance soit entièrement intelligible, c’est-à-dire réductible en démonstrations ; comme eux, il en appelle à l’instinct pour rendre compte de nos facultés élémentaires dans le domaine de la pensée et dans le domaine de l’action ; comme eux enfin, en dépit de ses prédilections personnelles pour les doctrines négatives et sceptiques, il garde un reste de foi en l’existence de Dieu : infidèle en ce point à la rigueur systématique de ses déductions, mais bien conforme au tempérament intellectuel de sa race et aux habitudes invétérées de son milieu. Il n’est donc pas étranger à l’École écossaise ; il en sort, et il y exerce, comme nous