Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/123

Cette page n’a pas encore été corrigée


LA

PHILOSOPHIE EN ÉCOSSE AU XVIIIe SIÈCLE

ET LES ORIGINES

DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE CONTEMPORAINE[1]


Il était impossible de séparer Smith de Hutcheson ; mais, à suivre l’ordre des temps, Hume viendrait un peu avant Smith. La doctrine de Hume marque le point où la pensée écossaise, jusque-là confinée dans son horizon restreint, entre dans le grand courant de la pensée européenne et s’enrichit des résultats obtenus par les investigations antérieures. Dès lors, au lieu de porter son principal effort sur la morale, c’est la psychologie et dans la psychologie la théorie de l’entendement qu’elle approfondit surtout ; elle scrute les principes même de la connaissance et par là renouvelle entièrement la philosophie. Moment trop court, suivi d’un recul et d’un isolement prolongés, mais où l’Écosse exerça une influence décisive sur les destinées de l’esprit humain.

C’est surtout par Berkeley[2] que Hume fut initié aux lumières acquises par les philosophes du siècle précédent. Berkeley en effet résume Locke et Malebranche, le sensualisme anglais et l’idéalisme cartésien. Il avait dirigé contre le matérialisme une critique de l’idée de substance, qui fournit à Hume, comme on le sait, le modèle de sa critique de l’idée de cause et que celui-ci sut tourner contre le spiritualisme, en appliquant à la substance de l’esprit ce que son devancier avait dit de la substance matérielle. Entre l’idéalisme de l’un et le phénoménisme de l’autre, il n’y a que l’intervalle de quelques dogmes théologiques. Berkeley était fort goûté en Écosse ; une société de jeunes gens s’était fondée à Édimbourg exprès pour obtenir de lui des renseignements sur le sens de sa doctrine, et il

  1. Voir la Revue philosophique, juillet 1881, p. 18.
  2. Voir, Penjon, la Vie et les Œuvres de Berkeley (Germer Baillière, Paris, 1879) ; et Revue scientifique du 27 juin 1879, un article où nous avons analysé et critiqué cet ouvrage.