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Elle se compose de deux parties :

La première, c’est que la déduction, comme l’induction, repose sur un procédé fondamental, qui n’est ni le passage du particulier au général ni du général au particulier, mais du particulier au particulier.

La seconde, c’est que néanmoins il est bon de traduire ce passage du particulier au particulier en une proposition générale qui exclura par l’absurde les fausses conclusions particulières auxquelles on peut être entraîné par mille causes diverses.

De ces deux propositions, la première est la négation de toute logique ; la seconde, qui contredit la première, est, sous une autre forme, le retour à la théorie traditionnelle, réfutée par l’auteur.

1o Le passage du particulier au particulier n’est en réalité ni une induction ni une déduction : ce n’est pas même un raisonnement ; ce n’est pas une opération logique ; c’est une opération machinale, qui n’est ni vraie ni fausse, qui peut être vraie ou qui peut être fausse selon les cas, et c’est précisément la fonction de la logique de définir ces cas.

Que le passage du particulier au particulier puisse être tantôt vrai, tantôt faux, c’est ce qui résulte de l’expérience.

L’enfant qui s’est brûlé une fois le doigt au flambeau le retirera une autre fois pour ne pas se brûler de nouveau ; et il aura raison, mais par hasard ; car une autre fois, en agissant de même, il pourra avoir tort ; car par exemple, s’il a mangé une fois un fruit amer, il pourra ensuite refuser ce fruit, croyant qu’il doit être amer : et ce sera une erreur. Toutes les erreurs, les superstitions, sont de fausses inférences du particulier au particulier. C’est sans doute un des grands principes de la prudence dans la vie pratique ; mais c’est un principe d’erreur et de paresse intellectuelle autant que de perfection pratique.

Or, si nous nous demandons dans quel cas le passage du particulier au particulier est vrai, nous verrons que c’est lorsqu’il est réellement un passage du particulier au général ; nous ne pouvons prévoir le particulier qu’en tant qu’il est général : ainsi je ne peux rien prévoir de Paul en tant que Paul, mais seulement en tant qu’homme. De ce que Pierre, Joseph, André ont fait telle et telle chose, comment pourrais-je conclure que Paul en fera autant ? De ce que, à telle et telle date, telle chose est arrivée, comment pourrais-je conclure qu’à telle autre date telle chose arrivera ? Mill ne voit pas que ce qu’il appelle le particulier n’est autre chose que le général ; ce que je conclus ne concerne pas le fait en particulier, mais un fait quelconque (c’est-à-dire indéterminé), et cela serait aussi vrai de tout