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que cette forme est commode pour rassembler une grande multitude de choses sous un même signe, sans être obligé de penser à une multitude de choses particulières. C’est ainsi qu’en algèbre je me sers utilement des lettres a, b, c, etc., pour exprimer des quantités quelconques. J’ai donc dans l’esprit un certain nombre de majeures qui ne sont que le résumé de mes expériences et qui peuvent s’exprimer ainsi : Tous les objets qui auront tels attributs communs (par exemple, la stature droite, la parole, l’intelligence) et que par raison je réunis dans un nom commun, celui d’homme) auront-tel autre attribut, différent du précédent (par exemple la mortalité), également commun.

Cette règle générale m’étant donnée, je n’ai plus qu’à chercher si dans un cas particulier, tel être a les premiers attributs, auquel cas je le range dans la catégorie d’homme, et par là seul je lui applique l’attribut surajouté aux précédents. Je ne tire pas cette conclusion de la formule, mais je conclus conformément à la formule. L’opération n’est pas une inférence, mais une interprétation.

L’opération est plus évidente encore lorsque la majeure, au lieu d’être le résultat de l’induction, est le résultat d’une autorité extérieure, d’une loi par exemple. Le législateur décide que l’escroquerie c’est-à-dire, par définition, tel ou tel ordre de faits, sera punie de telle peine. Le juge, quand il a un accusé devant lui, n’a plus qu’à rechercher si les actes qui lui sont imputés rentrent ou ne rentrent pas dans la définition.

Si le syllogisme n’est qu’une conclusion du particulier au parti culier, on demandera pourquoi la majeure est générale, et pourquoi elle doit l’être pour garantir la solidité de la conclusion. Pourquoi ne pas prendre le chemin le plus court ? Pourquoi nous forcer « à gravir la montagne pour la redescendre ensuite » ? Aussi, suivant Mill, pouvons-nous toujours si nous le voulons, et nous le faisons souvent, passer immédiatement du particulier au particulier. Mais il y a grand avantage à traduire notre expérience passée en une proposition générale et « à faire passer l’argument par le canal circulaire de l’induction des cas connus à la proposition générale, et de l’application subséquente de la proposition générale au cas non connu. »

La raison principale donnée par Mill, c’est :

« Qu’en concluant d’une suite d’observations individuelles à un cas nouveau, que nous ne connaissons qu’imparfaitement, rien presque ne peut nous prémunir contre la négligence ou nous empêcher de céder à quelque entraînement de nos désirs ou de notre imagination, tandis