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vertes sont faites dix fois de suite à de longs intervalles, ou bien on se plaint de lacunes qui ont été comblées, depuis longtemps, dans un pays voisin, où par malheur on se sert d’une langue peu connue. On discute beaucoup sur les lois psychophysiques, sans multiplier les expériences psychophysiques, et ceux qui les font sont si peu d’accord dans les détails méthodiques, ou même emploient des méthodes si différentes, qu’il est impossible d’en unifier les résultats et, quant aux méthodes de l’observation intérieure, on n’y pense guère. Veut-on connaître la littérature entière d’un sujet particulier, il n’y a d’autre moyen que de parcourir tous les catalogues généraux de tous pays, à défaut d’un catalogue complet, exclusivement psychologique. Mais toutes ces indigences sont encore peu de chose, en comparaison de ce chaos primitif qui règne dans la terminologie. Les termes les plus simples et les plus en usage sont employés dans des circonstances les plus différentes. On se sert par exemple du mot sensation pour désigner le stimulant externe ou interne, ou bien l’état physique d’un nerf, l’état psychique du cerveau, un sentiment, une idée, une qualité corporelle, quelques-uns des processus psychiques conscients ou tous les processus psychiques, chez les animaux supérieurs seulement ou chez tous les animaux, et quelquefois même en y comprenant les plantes… Ce n’est pas ainsi qu’on procède en physique ! Que dirait-on d’un physicien pour qui le mot température, par exemple, ne serait pas seulement un terme convenu pour désigner cette quantité de chaleur qui agit sur un thermomètre, mais qui pourrait employer de même pour désigner les phénomènes de la chaleur latente et de la chaleur spécifique, etc. ?… Et cependant c’est de cette manière qu’on procède en psychologie.

Il n’y a pas un seul mot qui soit employé dans le même sens précis et défini par tous les psychologues positivistes, et il n’est pas rare non plus que le même auteur, des plus éminents, nous offre à cet égard l’exempte d’une indécision frappante. Veut-on savoir, par exemple, ce que la psychologie moderne entend sous le nom de conscience, Bain nous dira dans la première édition de Senses and intellect, que c’est un « synonyme du sentiment », et, dans la seconde, qu’il préfère s’en servir pour exprimer « à la fois nos états objectifs et nos états subjectifs… » Veut-il y comprendre tous ces états ? C’est ce qu’on ne peut pas savoir, parce que d’un côté, dans la Mental and Moral science[1] et dans sa Logique[2] il semble admettre que c’est là « un terme qui représente tous lès états du sujet sentant (all sentient states), tandis qu’il est dit dans l’Appendice au Sens. a. Intellect

  1. Édit. de 1875. p. 93 de l’Appendix.
  2. Liv. V, ch. v.