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comme une calamité, moins à cause de la perte des citoyens qui la composaient que parce que les dieux de cette famille et les mânes de citoyens décédés se trouvaient par là privés de leurs honneurs accoutumés et pouvaient se venger en accablant le pays de leur mécontentement. Les grands agrégats appelés gens, phratrie, tribu étaient formés par une extension du même principe, celui qui faisait regarder la famille comme une confrérie religieuse, rendant un culte à quelque divinité commune ou à un héro sous un nom approprié, et les considérant comme l’ancêtre commun. »

Un lien analogue s’engendrait d’une manière analogue dans la société romaine. Chaque curie, c’est-à-dire l’homologue de la phratrie, avait un chef, « dont la fonction principale était de présider aux sacrifices. » Sur une plus large échelle, il en était de même pour toute la société. Le roi primitif à Rome était un prêtre des divinités communes à tous : « il se tenait en rapport avec les dieux de la société, il les consultait et les apaisait. » Les commencements de ce lien religieux, qui se révèlent dans la société romaine sous une forme avancée, sont reconnaissables dans l’Inde. « La famille des Hindous, dit sir Henry Maine, est l’ensemble des personnes qui se seraient assemblées pour prendre part aux sacrifices des funérailles de quelque ancêtre commun, si cet ancêtre était mort de leur temps. » De sorte que l’intégration politique, en même temps qu’elle se trouve favorisée par la ressemblance de nature que suppose la filiation commune, l’est encore par la ressemblance de religion qui provient de cette même filiation commune.

Il en est de même, plus tard, de cette espèce de ressemblance de nature moins prononcée qui est le caractère des hommes de même race qui se sont multipliés et répandus de façon à former de petites sociétés limitrophes. La communauté de nature, celle des traditions, des idées et des sentiments, aussi bien que celle du langage, continuent à favoriser chez ces sociétés la coopération, mais avec moins d’efficacité. Chez les hommes, de types divers, si la coopération se trouve empêchée, ce n’est pas seulement parce qu’ils ne peuvent se comprendre à cause de l’ignorance où ils sont de leurs langues respectives, c’est aussi parce que leurs manières de penser et de sentir ne se ressemblent pas. Combien de fois, chez des hommes parlant la même langue, des querelles ne viennent-elles pas d’erreurs sur l’interprétation des paroles ! Quelle cause de confusion et d’antagonisme ne doivent pas être des différences partielles ou complètes de langage qui sont l’accompagnement ordinaire des différences de race. Pareillement, les hommes qui diffèrent beaucoup par leur nature émotionnelle ou par leur nature intellectuelle sont les uns