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sans restriction, τὸ ἄπειρον ἁπλῶς, qu’il soit d’ailleurs actuel ou virtuel ; ou un infini accidentel et symbolique, pur équivalent du fini, τὸ ἄπειρον κατὰ συμϐέϐηκος. — Nulle autre situation métaphysique ne semble possible, et, entre ces deux alternatives, il est malaisé d’apercevoir un milieu. Pour ma part, quoi que je fasse, quelque biais que je cherche, la première hypothèse me paraît de plus en plus insoutenable : c’est la contradiction violente et à chaque pas, mal aigu et chronique à la fois. Je n’insiste point, et, quoi qu’il m’en coûte, je reste sur le seuil de la discussion ; ce que je voulais dire, je l’ai dit : j’accepte la méthode, j’accepte à l’avance les résultats.

Ce que je n’accepterai à aucun prix, malgré tout mon bon vouloir, c’est l’idéalisme d’emprunt que l’on m’attribue par méprise. Il y a là, s’il est permis de sourire en un sujet aussi grave, comme une violation du principe d’identité, à laquelle, par égoïsme, je ne puis demeurer indifférent. Je sais bien qu’il n’est question dans le passage dont je parle que d’un idéalisme de circonstance, d’un idéalisme contracté vers la fin de ma tâche au maniement des principes et des formules mathématiques ; mais enfin j’ai beau revenir sur mes conclusions, j’ai beau les interroger sans parti pris et une à une, je n’en vois jamais sortir qu’une pensée qui les résume toutes : l’idéal dépend du réel, car la limite sans laquelle l’idéal ne serait pas est, au fond, le seul réel, le seul absolu. Penser de la sorte, est-ce penser en idéaliste ou en réaliste ?

Si l’on veut bien m’accorder cette dernière qualification, à laquelle j’ai tous les droits, je serai plus à l’aise pour reconnaître avec M. Tannery que les principes de l’idéalisme pur, de cet idéalime qui n’est pas le mien, sont inconciliables avec ceux de la mathématique « réaliste, il l’avoue, dès l’origine ». En retour, mon honorable contradicteur me fera une concession ; il cessera de soutenir qu’un idéalisme conséquent avec lui-même, un idéalisme qui proposerait des conclusions « conformes à la situation originaire qu’il aurait prise », puisse avoir dans ses essais d’explication les moindres chances de succès, l’antinomie des points de vue devenant alors dès le principe et demeurant d’un bout à l’autre radicale.

J’écarterai avec autant de franchise un malentendu non moins grave. « Le point et l’instant, objecte M. Tannery, ne peuvent se concevoir comme éléments de l’étendue et de la durée ; autrement, ils auraient étendue et durée eux-mêmes. » Je rejette la conséquence, légitime seulement, s’il est évident ou démontré que l’élément doit être conçu comme homogène au tout qu’il engendre. Or, loin d’accepter un tel principe, je n’y ai jamais vu qu’un besoin de l’imagination, impuissante à écarter, dans le progrès de sa dichotomie idéale, le schème importun de l’étendue. Sans doute, toute partie phénomènale est divisible, et rien de plus naturel, puisqu’on ne perçoit que des groupes ; mais l’imagination, vouée à répéter le phénomène, nous abuse, lorsqu’elle affirme que les parties ultimes suivent la même loi. Il est trop clair que, s’ils existent, les éléments sont les seules parties du tout qu’on ne puisse envisager comme d’autres touts, et que là où la multiplicité cesse, l’étendue parallèlement doit cesser. Supposer que l’élément irréductible puisse se concevoir comme homogène à un quantum quel qu’il soit, c’est aller au-devant d’un démenti formel de la raison.

Ce que je viens de dire, je l’ai répété maintes fois sous toutes les formes. Certes, s’il est une proposition que j’aie essayé de mettre en lumière et de rattacher étroitement au principe de contradiction d’où elle émane, c’est celle-ci : l’élément, en tant qu’élément, est hétérogène à la grandeur, ou il n’est