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sur l’eau[1], » souvenir du temps où, selon la formule védique, tout l’Univers n’était qu’eaux.

§ 14. Aux Védas disant : « Au début étaient les ténèbres, » répond Hésiode : « Tout d’abord fut le Chaos… et du Chaos naquirent l’Érèbe et la Nuit noire, et de la Nuit à son tour naquirent l’Éther et le Jour, qu’elle enfanta, unie d’amour à Érèbe[2]. »

Ce Chaos primordial, la Grèce n’a pas entièrement oublié ce qu’il est. Sans descendre jusqu’aux Orphiques, qui le définissent tour à tour l’abîme monstrueux, la nuit ténébreuse, les ténèbres épaisses, la nuée ténébreuse, σκοτόεσσαν ὀμίχλην[3], dans Hésiode même l’identité du Chaos et de l’atmosphère nébuleuse éclate. Le Chaos n’est pas seulement lieu de ténèbres, ζοφερός[4], il est à son heure lieu de flammes ; quand Zeus précipite les Titans, « une flamme inouïe traverse le ciel, un resplendissement de foudre et d’éclair les aveugle, et une conflagration divine emplit le Chaos[5] : » chose naturelle, si le Chaos est le siège même de la lutte, s’il est la région atmosphérique, si le Vide[6] que son nom désigne est le Vide qui sépare le ciel de la terre. Ainsi l’entendait certes le vieux poète qui montre l’aigle volant « dans le Chaos stérile[7] ; ainsi Euripide quand il dit[8] « Ce ciel qui est au-

  1. Ἐφ' ὕδατος κεῖσθαι (τὴν γῆν), ὡς διὰ τὸ πλωτὴν εἶναι μένουσαν ὥσπερ ξύλον ἢ τι τοιοῦτον ἕτερον (Aristote De cœlo, II, 13).
  2. Hésiode, Théogonie, 116 :

    Ἤτοι μὲν πρώτιστα Χάος γένετ’,…
    ἐκ Χάεος δ’ Ἔρεβός τε μέλαινά τε Νὺξ ἐγένοντο·
    Νυκτὸς δ’ αὖτ’ Αἰθήρ τε καὶ Ἡμέρη ἐξεγένοντο,
    οὕς τέκε κυσαμένη, Ἐρέβει φιλότητι μιγεῖσα.

  3. Χάσμα πελώριον, νύκτα ζοφεράν, ἀξηχὲς σκότος, σκοτόεσσαν ὀμίχλην (ap. Lobeck, Aglaophamus, 473, 474).
  4. Théog., vers 814.
  5. φλὸξ δ’ ἤερα δῖαν ἵκανεν
    ἄσπετος, ὄσσε δ’ ἄμερδε καὶ ἰφθίμων περ ἐόντων
    αὐγὴ μαρμαίρουσα κεραυνοῦ τε στεροπῆς τε.
    Καῦμα δὲ θεσπέσιον κάτεχεν χάος
    (Théog., 697.)

  6. Sens littéral de χάος ; il est à χαίνω (hiare) dans le même rapport que φάος à φαίνω.
  7. Bacchylide, oncle d’Eschyle ve siècle), dans le scholiaste de la Théogonie, vers 116 :

    Νωμᾶται δ’ ἐν ἀτρυγέτῳ χάει..

  8. Οὐρανός ὕπερ ἡμᾶς κοινῶς φοιτῶν ἕδος δαιμόνων, τὸ δ' ἐν μέσῳ τοῦ οὐρανοῦ τε κα χθονός οἱ μὲν ὀνομάζουσι χάος (Euripide, Cadmus dans Probus, ad Virg. Ed. VI, 31). Le texte a été restitué comme il suit (éd. Didot) :

    Οὐρανός θ’ ἡμᾶς ὕπερ
    καὶ Γῆ, βροτῶν κοινόν τε δαιμόνων θ’ ἕδος·
    τὸ δ’ ἐν μέσῳ τοῦτ' οὐρανοῦ τε καὶ χθονὸς
    χάος μὲν ὀνομάζουσιν.

    L’incertitude de la restitution ne modifie en rien le sens en ce qui touche le mot χάος.