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même l’imagination n’est et ne peut être sans influence sur le système moteur. C’est ce que prouveraient au besoin la baguette divinatoire et les tables tournantes qui ont dupé et dupent encore tous les jours des gens de bonne foi. On s’attend à ce que la baguette ou la table tourne, et, sans y penser, on lui donne l’impulsion nécessaire. Il n’y a donc pas de différence essentielle entre l’imagination et la sensation.

Mais, si les images ne sont que des sensations plus ou moins complètement renouvelées, les idées sont autre chose ; elles se substituent aux sensations. L’idée d’un chameau, bien que pouvant provoquer en nous une image de cet animal, est un signe, un symbole qui signifie et condense tout ce que nous avons vu ou entendu dire « du vaisseau du désert ». L’idée est précise ; l’image correspondante peut ne pas l’être du tout ; exemple, l’idée et l’image d’un million. Aussi le signe verbal a quelque chose d’arbitraire. Les mots canis, chien, Hund, dog représentent la même idée, qu’on les voie écrits ou qu’on en entende le son. L’idée est abstraite ; nous concevons le point sans dimension ; la ligne, d’une seule dimension ; nous ne pouvons nous imaginer une ligne sans largeur, un point sans surface.

La logique des signes est à celle du sentir ce que l’algèbre est à l’arithmétique : sentir le rouge, l’imaginer, le penser, c’est au fond opérer un certain groupement ; seulement les symboles groupés sont différents. Mais, de même que l’algèbre n’a guère d’existence en dehors d’une valeur attribuée à ses signes, de même les sensations seules donnent une valeur aux idées et aux mots. Bien que, à en croire la tradition, il n’y ait pas de connaissance sans idées, et que la logique ne se rapporte qu’aux idées, il est néanmoins hors de doute que la majorité de nos jugements se maintient dans la sphère des images et des sensations. L’idée du danger surgit en nous de même façon à la vue du lion, ou à l’audition de ce cri : un lion ! Il y a seulement à noter cette différence que le mot ne produit cet effet que sur l’homme. Quand nous reconnaissons un ami à sa démarche, sans pouvoir le plus souvent spécifier en quoi consiste la particularité, agissons-nous autrement que le chien qui reconnaît son maître à l’odeur ? Les opérations logiques sont les mêmes, qu’elles portent sur des signes ou sur des sensations. Aussi ceux-là ont tort qui dénient la logique aux animaux. Un perroquet rejettera une noix légère sans la casser, dit Max-Müller. N’est-ce pas qu’il aura fait ce syllogisme ? « Toutes les noix légères sont vides, cette noix est légère, donc cette noix est vide. »

Je puis corroborer cette observation. Ceci se passait à Louvain chez M. Van Beneden, père, l’illustre zoologiste. Son fils, qui per-