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reculons. Il en explorera rentrée avec ses longues antennes, le cou tendu, une patte en avant, les autres prêtes à faire un mouvement de recul ; si un danger se dressait devant lui. Il s’avance ainsi peu à peu, avec lenteur et circonspection. S’il s’aperçoit que le trou est habite’ il se retire en toute hâte ; mais, s’il a ses apaisements à cet égard, il revient à l’extérieur, se retourne brusquement et pénètre vivement dans son nouveau logis. Je me demande vraiment en quoi la conduite de l’homme qui explore une caverne inconnue, diffère de celle dé ce grillon et si l’on peut, avec Lewes, refuser à l’un la faculté délibérative et critique que l’on accorde à l’autre.

Je ne doute pas qu’en ceci l’expression a trahi la pensée de Lewes. Cependant, préoccupé probablement de faire de la logique critique l’accessoire obligé du langage, il reproduit à plusieurs reprises l’affirmation absolue contre laquelle je viens de m’élever. Certes, je ne crois pas que les théoriciens les plus hardis méconnaissent, dans leur for intérieur, la largeur du fossé qui sépare l’homme civilisé de l’animal. Mais il faut prendre garde de transformer ce fossé en un abîme infranchissable, si on veut expliquer par des lois naturelles l’apparition de l’homme sur la Terre. Ces quelques remarques suffisent pour justifier la correction que je voudrais faire à l’assertion de Lewes. Inutile d’ajouter, dirais-je, que la logique critique n’attein pas chez l’animal la puissance qu’elle a chez l’homme.

Il résulte de ce que je viens de dire que, pour moi, la logique critique a nécessairement précédé la logique intuitive, qui eh est le résidu, la cristallisation. Il serait trop long de développer ici un point de cette importance. Je ferai remarquer seulement que Lewes, avec beaucoup de raison, assimile l’hésitation de l’animal au doute de l’homme de science. Or l’hésitation qui précède une résolution bonne ou mauvaise en soi, n’est que l’exercice de la faculté critique ; et, à la première conjoncture semblable, elle sera nécessairement moindre.

Cette restriction faite, je dois dire que tout ce chapitre, où Lewes vise à distinguer la logique des sensations de la logique des signes, ne manque pas de netteté. Il refuse la pensée aux animaux, mais la pensée « entendue dans un certain sens ». Le chat qui guette sa proie agit comme le chasseur à l’affût. Ce poisson qui lance des gouttes d’eau après les insectes, fait comme l’enfant qui jette-une pierre après un oiseau. Le chien distingue si l’on prend une canne pour le frapper ou pour aller en promenade ; seulement les animaux sentent ces choses et ne les savent pas, parce que le savoir est nécessairement inhérent à l’emploi dès signes ou symboles.