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lieu à une dialectique, c’est-à-dire à ce que Kant appelle la logique de l’illusion ? Cette excuse peu valable n’est qu’un appel au sens commun, au sens vulgaire. « Pour que la critique de la raison pure pratique soit complète, continue Kant, il faut qu’on puisse montrer l’union de la raison pratique avec la raison spéculative en un principe commun (allusion au primat de la raison pratique) ; or je ne pourrais aller si loin sans entrer ici dans des considérations d’un tout autre ordre et sans embrouiller le lecteur. »

Ainsi, la critique de la raison pure pratique est renvoyée à la publication de la Critique de la raison pratique. Par malheur, elle manque dans ce dernier ouvrage, comme dans les Fondements de la métaphysique des mœurs. On dirait que Kant a reculé soit devant la difficulté, soit devant l’audace de la tâche : critiquer la moralité même, chercher si elle n’a pas, elle aussi, ses illusions inévitables, mettre en question le devoir et discuter ses commandements ! — Par un sentiment honorable sans doute, mais peu philosophique, Kant parait s’être arrêté. Il n’en est pas moins précieux d’avoir de lui cet aveu, que la critique de la raison pure pratique est le « seul fondement » véritable de la morale.

Il en résulte que la morale de Kant demeure sans fondement, puisque l’essentiel y est négligé. Dans la Critique de la raison pratique (dont le titre est trompeur), Kant se borne de nouveau à une, analyse purement métaphysique du devoir, qui n’est toujours qu’une analyse déguisée des conditions de sa possibilité. Quand il en faudra venir à la question capitale : « Oui ou non, le devoir est-il réel et objectif ? » nous verrons Kant se contenter à peu de frais et finir par faire appel à un acte de foi. Avant d’en arriver à cette extrémité, il n’essaiera point tous les procédés d’une méthode vraiment scientifique ; il ne se demandera point si la psychologie, la physiologie, l’histoire ne pourraient élucider la question. Des hauteurs abstraites où il s’est placé, il dédaignera toutes les sciences concrètes, toutes les sciences de la réalité. Il n’essaiera pas non plus une solution sceptique de la question pour apprécier jusqu’à quel point son acte de foi est « nécessaire ». Il ne se demandera pas ce qui arriverait de l’individu et de la société si, par hypothèse, il n’y avait aucune moralité telle qu’il l’entend, aucun devoir absolu et objectif, aucun impératif catégorique, mais seulement l’apparence en nous de cet impératif. Or, une telle question devait être examinée, ne fût-ce qu’à titre d’hypothèse. C’est en supposant la suppression d’une donnée dans un problème qu’on se rend compte de la valeur exacte qui appartient à cette donnée. Qui sait si les impératifs catégoriques sont aussi indispensables à l’humanité que Kant le suppose ? En somme, Kant finira par prendre pour ac-