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h. lachelier. — l’enseignement de la philosophie

sités. Nous n’en avons pas trouvé à Heidelberg, et Munich même, cet été, n’en avait aucune. Un autre défaut que l’on pourrait peut-être reprocher à l’enseignement philosophique des Université, et sur lequel nous n’avions pas attiré l’attention, est de n’être pas assez historique en dehors des cours spéciaux d’histoire ; on s’attache chez nous à offrir aux élèves un matériel aussi varié que possible de faits, d’idées empruntées à tous les systèmes, à tous les temps, à tous les pays ; on veut que chacun puisse faire son choix, prendre ce qui le séduit, s’en faire une sorte de petit système. On mêle donc l’histoire à toutes les parties de la philosophie ; il n’en est pas ainsi en Allemagne ; et, en ce sens, l’indépendance dont le professeur allemand est fier à juste titre nuit peut-être à la portée de son enseignement. Cet enseignement est trop personnel ; trop peu de place y est faite aux idées d’autrui. C’est à peine si, en Logique par exemple, il expose et critique à grands traits quelques théories générales appartenant non pas à un homme, mais à toute une catégorie de philosophes. On résume par exemple la Théorie de la connaissance de l’Empirisme, du Rationalisme, du Criticisme. Mais qu’ont pensé sur telle ou telle question particulière les principaux philosophes anciens, modernes ou contemporains, voilà ce que l’étudiant allemand sait peut-être moins que le français. Il entend parler assez souvent de ses philosophes nationaux, de Kant surtout, de Hegel, de Herbart ; mais de Platon et d’Aristote, on ne l’entretient guère ; de Descartes, de Leibniz, presque rien en dehors des cours historiques. Or les cours historiques entrent souvent peu dans le détail, laissent forcément dans l’ombre mille faces de la pensée des maîtres[1] Quant aux philosophes contemporains français et anglais, il n’en est pour ainsi dire pas question, ni dans les cours dogmatiques, ni dans les cours historiques. On ne nous accorde en Allemagne que Descartes, aux Anglais que Locke et Hume. Peut-être mériterions-nous d’être mieux traités ; et il semble que les Anglais auraient grand droit de se plaindre.

Il ne faut pas d’ailleurs, après ces restrictions faites, méconnaître les avantages que peut avoir cet enseignement personnel des professeurs allemands. Il est incontestablement plus propre que le nôtre à former de vrais élèves. Le professeur risque moins de passer pour un vulgarisateur : quand il a du talent, il s’empare mieux des esprits, il devient un maître.

S’il nous est permis, à la fin de cette notice, d’exprimer au moins

  1. Et, quant à l’antiquité latine et grecque, ces cours la négligent beaucoup. Sur vingt cours d’histoire de la philosophie, trois ou quatre au plus sont consacrés aux systèmes anciens.