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PÉRIODIQUES.. — Mind.

de belles armes, de beaux ustensiles, il n’y a qu’un pas. Ces manifestations esthétiques se rencontrent au plus haut degré chez le sauvage et dans les races primitives. C’est là un nouveau stade dans le développement esthétique de l’homme.

Puis vient la décoration des maisons, qui a un caractère encore plus désintéressé que celle de la personne et de ce qui la complète (les Esquimaux eux-mêmes construisent avec art leurs huttes de neige). C’est l’influence de la religion et des rois qui a donné à l’origine l’impulsion la plus puissante à cette période du développement esthétique : les temples de l’Inde, les pyramides d’Égypte, les palais assyriens, etc. De même pour la peinture. On sait d’ailleurs que les artistes américains se sont souvent plaints de l’absence d’une cour qui aurait formé chez eux le goût public. L’Europe n’a acquis son art qu’au prix d’un long apprentissage sous le despotisme.

Nous n’avons jusqu’ici rien dit de la beauté dans la nature. Les enfant et les races primitives ne la sentent pas. Tout art est à l’origine franchement anthropomorphique ; même de nos jours, les esprits non cultivés ont peu de goût pour le paysage. Dans la littérature romaine commence à poindre un certain sentiment de la nature, quoique les Géorgiques aient un caractère humain et utilitaire. On n’admire pas les Alpes ; mais Virgile, Horace, Claudien célèbrent les cascades de Tivoli, la fontaine de Blandusie, la côte de Baïes. L’insouciance des beautés naturelles se retrouve encore aujourd’hui chez les Chinois, chez beaucoup de Russes et d’Américains cultivés ; l’auteur en donne de curieux exemples. Il pense que l’admiration des grandes scènes de la nature n’a pu se produire tant que les communications ont été difficiles, attendu qu’il est difficile d’admirer un paysage quand on est au milieu d’embarras pratiques ; aussi ces chemins de fer, contre lesquels Ruskin déblatère tant, ont peut-être plus fait pour développer l’amour de la nature que les peintures les plus éloquentes.

En résumé donc, on voit que le sentiment esthétique a marché de la simple admiration de la beauté humaine sous forme d’instinct organique à l’admiration de la beauté abstraite pour elle-même.

E. Montgomery. L’unité de l’individu organique.. — Ce que nous appelons la conscience de notre personnalité n’est-elle que la résultante de l’activité des cinq ou six billions de corpuscules qui compose notre corps ? La théorie cellulaire exulte à l’idée que tant de billions d’êtres séparés concourent, quoique d’une manière inconsciente, au merveilleux mécanisme de la vie ; mais c’est là, d’après l’auteur, une pure imagination. Il entame à ce sujet une digression assez intéressante sur l’idéalisme, qui a pour objet de montrer que ce qu’il appelle « le moderne scepticisme », c’est-à-dire le rejet de toute substantialité subjective ou objective, est l’expression d’un fait physiologique. C’est par l’investigation directe du phénomène biologique de la vision que Berkeley a achevé sa victoire décisive sur l’hypostase de la matière ; et c’est au fond une conception physiologique qui a conduit Hume à met-