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Lorsque le chef de service arriva à elle, il l’ausculta et la percuta en arrière et en avant du thorax, et, comme précédemment, cet examen lui fit constater un énorme épanchement autour des poumons ce qui rendait ces organes impropres à la respiration et produisait les horribles suffocations.

— Certainement, fit-il en s’éloignant, il faudra retirer ce liquide qui refoule et comprime le tissu pulmonaire ; mais elle est bien bas, cette femme, ajouta-t-il à voix basse, et je crains que dans l’opération elle ne nous reste dans les mains…

Soucieux il passa à un autre lit.


Moi, je restai auprès du numéro 9, et je lui parlai. Mes questions semblèrent pour un instant la distraire un peu de ses souffrances. Elle n’avait, disait-elle, jamais sérieusement été malade, bien que depuis huit ou dix ans elle fût le matin en se levant, sujette à des vomissements ; mais maintenant, depuis un mois au moins, elle ne pouvait rien prendre.

— Êtes-vous mariée, lui dis-je en désignant sa main gauche où brillait une bague d’or.

— Non, monsieur, me répondit-elle, c’est une bague que je me suis fait faire par les sauvages de Taïti, lorsque je suis allée en Océanie.

— Ils savent donc travailler l’or ?

— Oui, très bien, on leur donne un louis d’or et ils en font le bijou que vous désirez, c’est ainsi qu’ils m’ont fabriqué cette bague.

— Est-ce que vous viviez là-bas comme en France ?

— À peu près la même chose.

— Vous n’aviez sans doute pas de vin, qu’est-ce que vous buviez ?

— À l’office on buvait ordinairement de la piquette d’orange, mais pour les vins fins, les liqueurs, le rhum, l’eau-de-vie, par les navires nous étions aussi bien approvisionnés qu’en France.

Souvent ses paroles étaient entrecoupées de gémissements et de plaintes, et il fallait attendre presqu’après chaque mot.


Elle termina en me disant qu’elle ne pouvait plus dormir tellement elle suffoquait, que du reste le sommeil, si par hasard elle s’endormait une seconde, était un supplice parce qu’elle était alors en proie à des cauchemars effrayants.

Tandis que j’étais aupres d’elle, le chef s’était décidé à pratiquer la ponction, et lorsqu’il eut fini la visite, il pria l’un des internes de préparer l’appareil compliqué à l’aide duquel il devait opérer.

Comment, sans tuer la malade, transpercer le thorax, l’enveloppe du poumon et soutirer au-dehors la grande quantité de liquide qui l’oppressait ?


Pour ce genre d’opération, on a inventé, puis perfectionné un appareil tres ingénieux : il se compose en principe, d’un mince tube de métal ayant le calibre d’une aiguille, à laquelle