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guille qui l’obstruait, on ouvrit un robinet miniature et, instantanément dans la bouteille, où le vide venait d’être fait, nous vîmes jaillir un liquide ayant à peu près l’aspect d’un vin blanc un peu louche.

Vraisemblablement la douleur de la piqûre n’avait pas duré ; néanmoins le visage de la malade s’altérait de façon manifeste ; le liquide attiré par cette aspiration continue faisait une place vide dans l’intérieur du thorax, et comme il fallait que ce vide fut comblé, il se produisit nécessairement des augmentations de volume et des déplissements parmi les viscères, tandis qu’ils tendaient à revenir à leurs proportions naturelles.

Les sensations de ce coup de scène occulte devaient être la source d’étranges malaises pour la malheureuse.

Je suivais d’un œil anxieux l’altération progressive de son visage, une sueur moite envahissait sont front, la pâleur de la mort transparaissait sous son teint terreux et, à moi-même appuyé sur la barre de fer du pied du lit, il me semblait que je subissais un écho du même malaise.

Le chef du service, de son œil noir sondant pour ainsi dire l’intérieur des tissus, avec une attention minutieuse, et non sans inquiétude sous le masque professionnel, suivait une à une toutes les phases de ce drame silencieux, le doigt sur le pouls de la malade.

Celle-ci se laissait tomber de plus en plus sur l’interne de droite qui la soutenait. Sa respiration, si pénible déjà, devenait encore plus anxieuse, et son regard était terne et vague comme si elle agonisait.

Le chef suppléant lui fit donner quelques cuillerées de vin chaud pour la réconforter.


La bouteille de l’appareil étant pleine du liquide louche, on ja rémplaca par une seconde où l’on faisait également le vide, mais le malaise semblait augmenter. À chaque instant la patiente était sur le point de s’évanouir, et, pour elle, une syncope c’était la mort, car sa constitution était trop ruinée pour pouvoir réagir.

On dut arrêter l’opération après avoir seulement rempli à moitié la seconde bouteille.

Le vin chaud n’ayant pu ranimer les forces de la malade, on lui donna une cuillerée de rhum.

Administré à dose médicale, le rhum finit par agir.

Après que le malaise et la fatigue de l’opération eurent disparu, la patiente s’était trouvée beaucoup mieux, elle avait même voulu manger.


Le lendemain, j’allai à l’amphithéâtre pour voir si l’on ne pratiquait pas de nécropsie. J’entre dans le pavillon funèbre, je m’y trouve seul, avec deux cadavres étendus chacun sur une des tables de fer dans leur nudité misérable et froide,

Tous deux sont des cadavres de femme.

Je m’approche d’abord de celle qui est sur la table de