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il sert de fourreau, et, que l’on appelle un trocart, c’est avec ce tube armé intérieurement de son aiguille, que l’on traverse les tissus humains et pénètre dans la profondeur des organes. Ensuite, on retire l’aiguille et au petit tube laissé dans les chairs, on adapte, par l’intermédiaire d’un tuyau de caoutchouc, une bouteille communiquant avec un corps de pompe en cristal muni d’un piston pour faire le vide. Enfin l’on ouvre un robinet qui met en communication l’intérieur du corps du patient avec la bouteille où le vide est produit et aussitôt le liquide de l’organe malade, vient sous vos yeux jaillir dans la bouteille.

Bien que l’introduction de la canule par l’exiguité presque capillaire de son calibre, soit réputée inoffensive, cela cause toujours une impression de voir traverser une poitrine humaine.


La pauvre femmé était épouvantée de cet appareil que l’on installait sur sa table de nuit à gauche de son lit.

Tout en gémissant et en respirant douloureusement, elle voyait les préparatifs avec une cruelle appréhension.

— Allons, mademoiselle, rassurez-vous, nous ne voulons pas vous faire de mal, d’ailleurs il n’y a que cela qui puisse vous soulager, lui dit le chef.


La malheureuse, du fond de son orbite sombre, dardait son regard fauve sur l’instrument compliqué. Il se livrait en elle un violent combat entre la crainte et l’espérance. Enfin l’espérance prit le dessus, elle ferma les yeux, et, avec un faible signe de tête, elle s’abandonna.

Tandis qu’un interne faisait le vide dans la bouteille en manœuvrant le piston du corps de la pompe : « Il y a quelques années, disait le chef de service, cette opération était une grosse affaire, outre des dangers mortels, elle présentait beaucoup de difficultés. Comme on n’avait pas encore songé à utiliser la puissance du vide, il fallait se servir d’un gros trocart afin que le liquide morbide pût s’écouler. La piqûre était aussi cruelle pour le patient qu’un coup d’épée. Des qu’il sentait la pointe du fer, il se dérobait parfois et se repliant sur lui-même, il resserrait ainsi l’espace intercostal. On avait beau employer beaucoup de force, portant sur l’os l’instrument ne pouvait pénétrer et l’opérateur se trouvait en face de tous les inconvénients d’une opération très douloureuse à recommencer. Mais avec cet instrument-là, fit-il en prenant le fin trocart doré, il n’y a pas de ces accidents à redouter. » Ce disant, il faisait un signe à un second interne qui, placé à droite, inclinait le buste de la malade mis à nu, tandis que l’opérateur palpait légèrement le côté gauche, présentant les espaces intercostaux agrandis par la position.


À peine la pauvre femme avait-elle eu le temps de pousser un cri, que l’instrument dirigé adroitement avait pénétré dans la cavité où se trouvait le liquide.

Sans déranger la canule dorée, on retira en partie l’ai-