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subordination entre elles. « Le protoplasma n’a point de moi, a écrit Preyer ; il n’est jamais individualisé. » Puisque toutes les particules du protoplasma possèdent à peu près la même capacité de sentir et de réagir, il est clair qu’aucune représentation subjective d’un moi, quelque fugace et obscure qu’on l’imagine, n’en saurait résulter. Telle est du moins la doctrine de Max Verworn. Elle me semble correcte ; mais, avant d’avoir une opinion scientifique en un pareil sujet, on doit peut-être attendre que la psychologie moléculaire soit constituée. L’étude de la psychologie cellulaire ne suffit pas, ou ne suffit plus.

Max Verworn, en un fort beau chapitre[1], a déjà, il est vrai, esquissé à grands traits les premiers principes de cette science future. Je me ferais scrupule de ne pas citer ici, sur ce sujet, une page, à mon avis, admirable, de ce savant, « Ce qu’avaient pressenti déjà les anciens philosophes grecs, tels que Démocrite, ce qu’avait déclaré plus nettement Giordano Bruno, ce qu’on découvre lorsqu’on va jusqu’au fond de la philosophie de Spinoza, et ce qui a reçu naguère, surtout de Haeckel, une base scientifique, — l’idée de l’unité de la nature, — trouve une importante confirmation dans l’étude de la vie psychique des Protozoaires. De même que les recherches biologiques de la dernière moitié de ce siècle ont peu à peu ruiné l’idée d’une opposition absolue entre l’homme et l’animal, entre l’animal et la plante, on sera également forcé d’abandonner l’idée qu’entre la nature organique et la nature inorganique il existe une différence absolue, car même les phénomènes de la vie qui, de tous les caractères différentiels, passaient pour les plus essentiels, — les processus d’échanges matériels et les processus psychiques, — ne diffèrent pas au fond des processus de la matière inorganique, et ne s’en distinguent que par leur plus grande complexité. Le rapport qui existe entre les processus de la vie chez l’homme et ceux de la cellule, entre les processus de la cellule et ceux des particules élémentaires du protoplasma, existe également entre les processus biologiques de ces particules et ceux de n’importe quelle molécule. Si les phénomènes de la vie s’arrêtent, il n’existe plus en réalité de différence essentielle entre le corps organique et un mélange quelconque de matières inorganiques. Un Rotifère desséché ne diffère pas plus, alors, d’un fragment de roche quelconque, que celui-ci ne diffère d’un autre fragment de roche. »

Les phénomènes de conscience, simples épiphénomènes, qui accompagnent les processus psychiques comme l’ombre le corps, ne

  1. L. l., Molekular-Psichologie, 200-207, 213.