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j. soury. — la psychologie physiologique des protozoaires

sélection naturelle, la ségrégation et l’hérédité l’expliquent suffisamment aujourd’hui[1]. La conservation de l’individu et celle de l’espèce ne sont point, comme on le dit, des fonctions physiologiques. « L’une et l’autre notion sont nées, dit Preyer, de conceptions anthropomorphiques de la nature ; elles reposent sur des idées de finalité transportées dans le monde objectif, idées qui sont et demeurent aussi étrangères aux êtres vivants qu’aux machines. Les plantes et les animaux fonctionnent précisément comme des machines, parce qu’elles ne peuvent pas fonctionner autrement, et elles ne le peuvent pas, parce que les conditions externes et internes de la vie ne sont pas autres qu’elles ne sont. Dès qu’on ne tient les fonctions que pour des processus qui ont lieu dans le but que l’individu puisse, grâce à elles, se conserver, lui et ses descendants, on procède à la façon des partisans des causes finales[2]. » Avec l’action du milieu cosmique et biologique, avec les effets de l’adaptation et de l’usage des parties, la science est capable de rendre raison des phénomènes physiologiques comme des phénomènes morphologiques, et la vie et la pensée elle-même sont enfin entrées dans la conception mécanique de l’univers.

Qu’aucun des processus psychiques observés chez les Protozoaires ne soit conscient, c’est un point de doctrine inébranlable pour Max Verworn et pour la plupart des auteurs cités en ce travail. L’idée ou la représentation plus ou moins vague d’un moi individuel, condition nécessaire des processus conscients, ferait en effet défaut chez les Protozoaires. C’est que cette idée ne peut apparaître que lorsque les sensations et les représentations, primitivement inconscientes, de chaque partie d’un corps organisé, sont subordonnées et rapportées à quelque ordre spécial de sensations, à un organe des sens d’importance prédominante, à la vision, par exemple, chez l’homme normal. Or l’étude des organes des sens chez les Protozoaires a montré que, même les organismes capables de distinguer les différences d’intensité lumineuse avec les longueurs d’ondes, ne sauraient rien reconnaître à distance. Aucun organe des sens ne prédomine chez ces êtres et ne concentre en quelque sorte, comme en un foyer unique, les autres modes de sensibilité, et cela pour la raison qu’il n’existe pas encore d’organoïdes différenciés de sensibilité spéciale, sinon de sensibilité générale. Il n’existe encore que des sensations et des représentations particulières, mais sans lien ni

  1. Weismann, über die Vererbung, p. 37 (Alle Instincte entstehen rein nur durch Sélection).
  2. V. Preyer, Physiologie générale, 285-6.