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langage, de jeunesse, etc., on ne sait pas comment il les expliquerait, attendu qu’il n’en dit pas un mot ; mais on se demande si la doctrine de l’intellect actif, dégageant de la sensation l’idée, s’y appliquerait encore.

V. La conception que se fait M. Piat d’une idée distincte de l’image, mais connexe à l’image et disparaissant avec elle, n’est pas, comme on sait, sans antécédents dans l’histoire de la philosophie. On trouve chez Aristote et chez saint Thomas, non pas cette conception elle-même, mais quelque chose d’assez semblable. Pourtant il s’en faut de beaucoup qu’elle ait été acceptée par la totalité, ou même par la majorité des philosophes. Or que fait M. Piat ? Prenant cette hypothèse pour la mieux constatée et la plus incontestable des vérités, il met les doctrines opposées à celle de son intellect actif en demeure d’en rendre compte. Près d’un tiers de son ouvrage est consacré au développement de cette thèse : l’empirisme n’explique pas l’idée ; comme si les empiristes pouvaient se croire tenus à expliquer l’idée définie d’une manière qu’ils repoussent absolument ! Un autre tiers a pour objet d’établir que l’innéisme n’explique pas l’idée ; comme si les innéistes avaient jamais songé à expliquer l’idée entendue comme elle l’est ici ! A-t-on jamais vu un philosophe innéiste s’efforcer d’établir que l’idée de l’homme, soit de l’homme individue, qui est Pierre, soit de l’homme en général, eât une idée innée ? Et, malheureusement, ce contresens n’est pas le seul que commette l’auteur à ce sujet. Comme représentant de l’innéisme, il cite à peu près exclusivement Kant, dont il discute la théorie du schème sans l’avoir comprise, et auquel il prête cette thèse que, les phénomènes n’ayant entre eux que de simples rapports de succession, l’entendement les lie du dehors, et établit entre eux des rapports universels et nécessaires au moyen de ses catégories et de ses formes a priori (p. 31, 47, 51, etc.). Il est difficile de se tromper plus complètement sur l’un des points les plus essentiels de la philosophie kantienne.

Enfin, dans une troisième partie, M. Piat ayant montré que l’idée ne s’explique ni par l’innéisme, ni par l’empirisme, montre qu’elle s’explique au contraire par l’activité de l’intellect. Nous croyons qu’il a raison là-dessus ; mais il resterait à savoir ce qu’est cet intellect dont l’activité produit la pensée. Dire, comme il le fait, qu’il y a un intellect actif, n’avance à rien tant que cet intellect n’est ni expliqué ni défini. Or l’auteur ne le définit ni ne l’explique : il l’affirme et c’est tout ; de sorte que tout ce que nous savons de l’intellect actif, c’est qu’il est l’agent de la pensée. Mais M. Piat sait bien qu’on n’explique pas un fait par un principe métaphysique imaginé tout exprès pour le produire, et dont on ne peut absolument rien dire, sinon qu’il le produit, comme l’opium fait dormir par sa vertu dormitive. Il nous devait une théorie métaphysique de la nature de l’esprit, et il ne nous donne qu’un mot.

Dans sa conclusion, il examine la valeur de l’idée : 1o en elle-même ;