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ANALYSES.c. piat. L’Intellect actif.

par mon intelligence. Je sens et je comprends une seule et même chose, la surface de ma table. » (P. 111.) Voici donc une idée connexe à une sensation, qui naît spontanément et qui disparaît avec elle, qui lui est unie, non pas seulement tempore, mais encore natura, qui lui est. même consubstantielle en quelque manière, puisqu’il n’y a pas d’idée isolable, même par abstraction, qui pourtant n’est pas l’image, résidu de la sensation, et qui même n’a rien de commun avec l’image. Comment se fait-il que l’idée abstraite et générale, impossible en soi, devienne possible par son union avec la sensation à laquelle donne lieu un objet concret ; et quelle relation peut-il y avoir entre cette sensation et une pareille idée ? À cette question, toute naturelle pourtant, l’auteur répond par une sorte de fin de non-recevoir. « Il y a en moi deux consciences, dit-il, l’une par laquelle j’appréhende le concret, l’autre par laquelle j’appréhende l’abstrait. Mais, comme Kant l’a bien fait voir, ces deux consciences vont, je ne sais comment, se réunir dans un même principe. » (P. 112.) Kant a-t-il jamais cherché à faire voir qu’il y a ou non deux consciences, l’une du concret, l’autre de l’abstrait ? Nous l’ignorons pour notre part ; mais ce que nous savons bien c’est que, s’il a cherché à le faire voir, pour aboutir à cette conclusion que les deux consciences vont, on ne sait comment, se réunir dans un même principe, il a perdu son temps, car il est clair que on ne sait comment ne constitue pas une explication.

Cependant il est juste de reconnaître que l’auteur ne se contente pas de cette réponse par trop vague. Il fait appel à la conscience directe et à l’analyse psychologique ; mais les efforts mêmes qu’il fait ont pour résultat de bien montrer que ce qu’il appelle idée n’est pas autre chose que la sensation pure et simple. Sans doute, quand je regarde une table, je vois l’étendue de cette table, et cette étendue est abstraite, comme il le dit, puisqu’elle ne subsiste pas indépendamment de la table elle-même ; mais tout abstraite qu’elle est, cette étendue est une sensation, et non pas une idée pure, car c’est bien par mes yeux que je la vois. L’auteur ne considère pas comme seulement supposable que les sens puissent percevoir l’abstrait. Ils le peuvent pourtant, rien n’est plus certain. L’œil voit les couleurs et les formes, le tact connaît les résistances et les températures ; ce sont là des abstractions très véritables. Les perceptions des sens sont même universelles et nécessaires au sens où M. Piat prend ces mots, car toute qualité sensible peut se réaliser indéfinitivement dans des objets, et la possibilité de sa réalisation est éternelle. Mais alors pourquoi opposer l’étendue abstraite à l’étendue sensible ? Et surtout pourquoi faire intervenir un intellect actif pour refaire une besogne à laquelle le sens suffit si bien ?

IV. Telles sont les théories de M. Piat à l’égard de celles de nos idées qui répondent aux objets sensibles. Quant aux idées tout à fait abstraites comme celles de vertu, de loi, de nécessité, etc., et aux idées intermédiaires par leur degré d’abstraction, comme les idées de sensation, de