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blent la craindre et la fuir ». Réaumur, on le sait, expliquait surtout la tendance qu’ont les papillons de nuit à venir se brûler aux lumières par l’hypothèse que les femelles de ces insectes émettent peut-être, comme celles des vers luisants, une lumière, « trop faible pour faire impression sur nos yeux », mais assez forte pour attirer les mâles. Lorsque Lubbock, après Paul Bert, constate que les daphnies se rassemblent et se pressent en plus grand nombre dans la lumière jaune, Loeb ne veut pas que ce naturaliste parle de la « prédilection » des daphnies pour cette couleur. Même vice de méthode et d’interprétation chez Graber, qui a publié les recherches les plus étendues touchant l’influence de la lumière sur l’orientation des animaux : si ceux-ci se rassemblent dans la région sombre d’un vase, il en conclut qu’ils « aiment l’obscurité » et « craignent la lumière » ; si le contraire arrive, il leur attribue des affections opposées. Pourquoi Romanes, voulant expliquer « l’instinct » qui pousse les insectes dans la flamme, tendance qu’il rapproche de celle des oiseaux à se précipiter sur les phares ou de celle des poissons, qu’attire la lueur des lanternes, — invoque-t-il, comme cause de ces phénomènes, « la curiosité », « le désir d’examiner un objet nouveau et frappant[1] » ? Ces interprétations « psychologiques », J. Loeb les lient aussi inutiles pour l’analyse des phénomènes de la vie que le verbiage des philosophes de la nature sur la physique. Le paradoxe qui a si fort ému Réaumur et ses successeurs, ainsi que la plupart des observations qui reposent sur le prétendu choix des animaux ou des plantes pour telle ou telle couleur, s’expliquent simplement, nous le verrons, d’une part, par l’héliotropisme, c’est-à-dire par la propriété que possède le protoplasma végétal ou animal d’orienter ses mouvements du côté d’où vient la lumière, s’il est positivement héliotropique, du côté opposé, s’il l’est négativement ; d’autre part, par l’efficacité plus grande qu’exercent sur ces mouvements les rayons les plus réfrangibles du spectre, le bleu et le violet.

Pour Loeb, il n’y a là qu’un problème de physique moléculaire, dont il faut naturellement bannir toute conception anthropomorphique. Dans une conception vraiment scientifique du monde, on ne saurait plus dire non plus, avec les anciens naturalistes : « La nature cherche à conserver l’espèce » ; « la nature tend à l’accomplissement d’un plan » ; « la nature manifeste une tendance vers le progrès », principes qui ont fait la consolation de tant d’âmes généreuses et l’édification de tant d’esprits libéraux ! Tous ces anti-

  1. G.-J. Romanes, l’Évolution mentale chez les animaux (Paris, 1884), p. 283 de la traduction de M. H. de Varigny.