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plasma. Preyer a énuméré les fonctions du protoplasma vivant, identiques chez tous les êtres, depuis l’amibe jusqu’à l’homme : circulation, respiration, nutrition, sécrétion, thermogenèse, électrogenèse, mouvement, sensibilité, croissance, génération, développement, hérédité.

De ces douze fonctions élémentaires du protoplasma vivant, la sensibilité et le mouvement ne sont pas, à coup sûr, les moins importantes, mais elles ne se conçoivent bien et ne peuvent être objet de science que si on ne les sépare pas des autres fonctions de la vie, ainsi qu’Aristote l’avait d’ailleurs très bien indiqué. Toutes ces fonctions sont liées à des processus physico-chimiques et relèvent par conséquent, en dernière analyse, de la mécanique.

On sait, en effet, que le mot « vital », employé pour désigner les propriétés des êtres vivants qu’on n’avait pu encore réduire à des considérations physico-chimiques, paraissait provisoire à Claude Bernard, qui ne doutait pas que cette réduction ne fût possible un jour. Elle l’est devenue, selon nous. J’ai rappelé ailleurs[1] que, dans l’état actuel des sciences, il est possible de relier directement la psychologie aux sciences physico-chimiques : les fonctions du système nerveux, c’est-à-dire des éléments cellulaires chez lesquels les propriétés psychiques (sensibilité et mouvement) du protoplasma ont subi la plus haute spécialisation, ne sont, comme la chaleur et l’électricité, qu’une forme de l’énergie ; bref, les phénomènes psychiques ont un équivalent chimique, thermique, mécanique. Toutes les forces cosmiques aujourd’hui connues, sans excepter les forces psychiques, sont convertibles les unes dans les autres, sans perte ni création. Le mot « vital » n’a donc plus désormais aucune raison d’être : c’est une simple survivance, un souvenir des âges héroïques de la pensée humaine.

Dès que l’on a administré la preuve que les forces physiques et les affinités chimiques n’agissent pas autrement dans les organismes que dans le reste du monde ; que les éléments minéraux engagés dans les combinaisons chimiques du protoplasma ont les mêmes valences, la même capacité de saturation atomique, qu’au dehors des êtres vivants ; qu’un travail physiologique peut se mesurer comme un travail mécanique et s’exprimer, comme celui-ci, en kilogrammètres ; bref, que l’application des principes de la mécanique aux phénomènes de la vie est rigoureusement scientifique, — il n’est plus guère légitime de conserver l’ancienne distinction entre les corps

  1. Voir les Archives de neurologie de 1890 : les Fonctions du cerveau. Doctrines de l’école italienne.