Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
662
revue philosophique

à recevoir une instruction disproportionnée à leur état physique et social, on produit une quantité considérable de déclassés, munis d’une instruction toujours incomplète, parce que, d’une part, ils n’ont pas reçu une éducation parallèle à leur instruction et que, d’autre part, les places déjà trop nombreuses où ils pourraient faire usage de leur savoir sont en quantité insuffisante. Il ne faut pas croire que « la science » soit une panacée, tant s’en faut, pas plus que la religion n’est toujours et pour tout le monde un mal.

L’étude des différentes variétés de dégénérés considérés dans ce livre ne me paraît pas avoir beaucoup avancé la question. Il est admis maintenant que les criminels comme les fous doivent être compris avec bien d’autres dans la grande famille qui nous occupe ; mais si nous voyons la parenté de tous ces êtres dégradés, nous ne sommes pas encore en mesure, malgré les efforts de l’école anthropologique criminelle, de rapporter les troubles fonctionnels qui les distinguent les uns des autres à une modification somatique ; et tout ce côté médical, l’auteur n’a fait que l’effleurer. Les livres comme celui que nous analysons ici sont bons pour donner surtout au grand public cette idée qu’au fond tous ces désordres, dont on constate les effets sur la société, relèvent de causes matérielles et sont soustraits au hasard et à l’action de ce que l’on appelle la liberté humaine. Tout cela au fond est de la pathologie prise dans son sens le plus étendu, et le rôle des gens malades dans la société ne fait que s’accroître. M. Sergi présente les choses dans son livre comme si l’étude de cette pathologie spéciale à deux faces, biologique et sociale, était toute aplanie : elle est, au contraire, hérissée de difficultés et si le côté biologique est, il faut l’avouer, encore peu avancé, que dire du côté sociologique à peine entrevu ?

Les conclusions de l’auteur qui visent l’avenir ne tiennent pas assez compte de notre ignorance et de la complexité des phénomènes de la société. Admettant l’opinion de H. Spencer que la protection des faibles fait plus de mal que de bien, il distingue ce qu’il appelle l’altruisme sentimental de l’altruisme utilitaire qui profite réellement à tout le monde. En outre, il sépare les dégénérés qui peuvent et doivent être secourus utilement de ceux que l’on doit abandonner ou supprimer » et dont l’assistance augmenterait le nombre. La véritable protection doit porter sur les forts et sur les faibles qui ne sont pas encore tombés. L’éducation du caractère est à juste titre indiquée comme un des moyens les plus propres à ralentir la dégénérescence, et M. Sergi a écrit sur cette éducation des pages excellentes comme celles qu’il avait consacrées au commencement de son livre à la dégénérescence du caractère. Mais nous connaissons depuis longtemps (Malthus n’a-t-il pas été un des premiers à s’en occuper ?) les théories de défense contre les dégénérés et elles sont reproduites ici dans leur forme ordinaire, y compris la proposition de l’interdiction du mariage, du travail forcé pour les criminels, vagabonds, etc., et l’application de l’éducation