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analyses. — ch. letourneau. Évolution de la propriété.

structure sociale retentit nécessairement sur lui et souvent même n’est que la conséquence d’une nouvelle manière d’entendre la propriété. » On passera donc successivement en revue : 1o les hordes anarchiques ; 2o les tribus déjà organisées, mais néanmoins républicaines ; 3o les groupes ethniques, à structure plus différenciée, ayant déjà une aristocratie, souvent des esclaves, presque toujours un chef monarchique ; 4o les grandes monarchies primitives.

Chez les tribus anarchiques (Veddahs, Bochimans, Fuégiens) presque pas de prévoyance ; la propriété individuelle est réduite aux instruments de chasse et aux objets fabriqués ; la propriété collective du clan commence à se dessiner (Australie) et elle domine.

Chez les tribus républicaines (Indiens des deux Amériques) on voit la propriété collective nettement accentuée. Le socialisme précède l’individualisme ; il résulte naturellement de la faiblesse des individus et de l’ensemble des nécessités de la vie sociale primitive. Il contribue à développer le sentiment de la solidarité sociale, que tend à détruire notre individualisme. Chez les tribus monarchiques, on retrouve les traces du régime communautaire primitif, des allotements indivis dans les clans. Mais l’inégalité s’accentue sous le régime monarchique et l’esclavage, qui se développe en même temps, source capitale de richesses, contribue à établir l’omnipotence, et par suite le droit de propriété illimité des chefs, tel que nombre de tribus africaines nous en fournissent l’exemple le plus caractérisé. M. Letourneau montre, en étudiant de près la dessa javanaise, la supériorité de cette organisation, la force que donnent à cette communauté de village l’habitude et la pratique de la solidarité pour résister au despotisme des chefs et les avantages, tant moraux qu’économiques, qui en résultent.

Nous passons ensuite en revue les grandes monarchies barbares, la féodalité mexicaine, le communisme autoritaire des Incas, régime typique, dont l’auteur met en balance les avantages (sécurité pour l’individu, solidarité) et les inconvénients (état stationnaire, absence d’initiative individuelle), enfin l’Égypte ancienne avec ses castes fermées, son gouvernement despotique, son économie étroite et jalouse.

La Chine fournit à l’auteur l’occasion d’une étude et d’une appréciation de la propriété familiale, qui « sans être spéciale à la Chine s’y est mieux conservée qu’ailleurs ». « Les avantages sont considérables, dit-il. Supposons un pays imaginaire où serait rigoureusement appliqué le système de la propriété familiale… Point d’abandon ; point de paupérisme ; point de malthusianisme ; solidarité nécessaire de tous les membres de l’association familiale dans la bonne et dans la mauvaise fortune. Des traditions ininterrompues reliraient les générations… Pour la nation, elle verrait le nombre de ses citoyens grossir avec une énorme rapidité… Voilà certes des avantages qui ne sont pas à dédaigner ; les inconvénients ne le sont pas non plus. L’individu… ne saurait quitter la famille qui a besoin de son travail…