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Tout ceci tendrait à montrer que c’est faire fausse route de fonder la métrique poétique sur le principe de l’égalité des syllabes, au point de vue du temps, et sur leur distinction au seul point de vue de l’accentuation, ainsi que le font certains théoriciens du vers français. M. Johannes Weber serait, dès lors, plus près de la vérité, quand, dans ses Illusions musicales, il fait dériver le rythme des vers à la fois de l’accentuation et de la quantité des syllabes.

Il nous reste enfin à dire quelques mots d’un ordre de questions que M. Ch. Henry n’a pas traité dans son article de la Revue philosophique, bien qu’il doive y attacher certainement la plus grande importance. Considérant la réalité du monde extérieur comme relevant exclusivement de la métaphysique, il réduit la science expérimentale à la détermination des lois de notre sensibilité, et comme il pense avoir découvert la base essentielle de ces lois, il peut résoudre immédiatement une foule de questions pendantes entre les savants : telle est l’inapplicabilité du théorème de Carnot aux êtres vivants. Il est bon de noter cet idéalisme scientifique, dont le lecteur n’est pas toujours suffisamment prévenu : c’est ainsi que M. Ch. Henry parle de la longueur d’onde répondant à chaque couleur, alors qu’il regarde le concept de l’éther et de ses ondulations comme ayant une valeur purement métaphysique. Cette expression ne désigne donc, pour lui, qu’une quantité purement mathématique. Croyant qu’il existe des phénomènes objectifs dont les lois de notre sensibilité peuvent ne pas nous donner une révélation exacte, nous serions porté à attribuer une plus grande valeur aux applications à la pathologie physique et psychique.

En résumé, nous sommes en présence d’un essai de réduction à quelques principes uniformes de toutes les lois de notre sensibilité, grâce à cette idée vraiment géniale d’étudier toutes les formes de cette sensibilité dans une seule, la forme motrice que toutes ont pour propriété de mettre en jeu. Cette idée si profonde, si séduisante à tous égards, s’est naturellement emparée tout entière de l’âme de celui qui l’a conçue, et, par un penchant bien naturel, il nous semble être devenu à son égard un véritable croyant, avec tout ce que ce mot suppose de force et, dans une certaine mesure, de faiblesse : celle-ci nous semble apparaître dans des applications singulièrement hasardées de la théorie et aussi dans l’obscurité de certains exposés que le croyant suppose devoir être immédiatement saisis par les autres, tant toute chose lui apparaît clairement. Enfin nous aurions quelque défiance du croyant, au point de vue de mainte vérification expérimentale, si M. Ch. Henry ne nous avait assuré que toutes ces vérifications ont été contrôlées par les personnes à la fois les plus compétentes et les moins prévenues.

Toutes ces réserves lui paraîtront sans doute bien choquantes, mais nous pouvons assurer qu’elles nous sont toutes inspirées par l’intérêt exceptionnel que nous éprouvons pour une systématisation si puissante des lois de la sensibilité et par notre désir de la voir dégagée des nuages qui nous paraissent encore l’envelopper.