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toute nécessité pour rattacher l’homme aux purs esprits, bien qu’il soit plus près de la bête que de l’ange. Séparée de l’animalité, I l’humanité était prédestinée à une autre vie, à un autre monde.

La réfutation de l’existence de la matière première se termine par cette assertion, qu’il n’y a point d’être incorruptible dans le monde sublunaire. Or, d’après les théologiens, la définition de l’homme implique l’existence de la matière première. L’insistance que met l’auteur à la nier permet de croire qu’il étendait la négation au delà. Dans tous les cas, il ne cesse de répéter que les éléments sont les plus imparfaites des substances ; ce qui est très vrai de tout organisme vivant. L’organisme élémentaire n’a que le mouvement ; la sensibilité, puis la conscience naissent avec la complication croissante des éléments, au fur et à mesure que les fonctions se spécialisent en des appareils particuliers. L’appareil de la sensibilité consciente se compose de milliards de cellules et de tubes, tandis que le pur élément organique se réduit à un cul-de-sac. L’animalcule digère et le composé le plus complexe pense. Entre les deux, des milliers d’êtres intermédiaires aux deux extrémités de la série. L’échelle animale n’est pas comme celle de Jacob qui montait jusqu’au ciel.

Après une exposition magistrale sur les principes des choses, l’auteur présente des considérations très justes sur la distinction des connaissances, sans jamais perdre pied, car il part de la sensation et y ramène les spéculations les plus hautes. Un siècle et demi avant Locke, il distingue les vérités d’expérience et les vérités de raison, la connaissance expérimentale et la notion abstraite.

À mesure que Gomez Pereira avance dans l’exposition de sa doctrine, il mesure le chemin parcouru et rappelle brièvement l’essentiel, comme pour montrer que, malgré mille détours sinueux, le fleuve marche, grossi de nombreux affluents. Avant d’aborder la question de l’immortalité de l’âme, il veut examiner l’opinion d’Aristote, qui distingue l’intelligence agissante de l’intelligence virtuelle, et répondre aux objections de ceux qui considèrent l’intelligence comme un accident distinct de l’âme. Pour plus de clarté, il reproduit le principal du troisième livre du traité aristotélique de l’Ame, avec un commentaire suivi, Paraphrasis in tertium librum de anima Aristotelis, longe ab omnium aliorum authorum expositione dissidens. Elle est, de fait, si originale, qu’on s’étonne qu’aucun traducteur moderne d’Aristote ne l’ait connue. Nul n’a pénétré plus avant dans ce livre admirable, dont les commentateurs ont fait une énigme.