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GUARDIA.philosophes espagnols

Aristote affirme dans maints passages de ses écrits sur l’histoire naturelle, que dans la semence l’âme, soit végétative, soit sensitive, soit raisonnable, existe, non pas en acte, mais en puissance. Rien de plus confus que cette proposition, quæ verba adeo confusa sunt, ut nulla plus, dit notre auteur, et il se moque agréablement des gobe-mouches de la philosophie, toujours prêts à se payer de mots. Nul n’a mieux montré combien les abus du langage trompent et faussent la pensée, et même la conscience. Il était digne de commenter le Cratyle. Héraclite tenait les grammairiens pour des sots fieffés. Gomez Pereira a montré l’influence de leurs sottises en philosophie et en médecine. C’est là un des côtés les plus originaux de sa critique.

En portant la main sur l’idole des scolastiques, il lui reproche moins de s’être trompé, que d’avoir écrit obscurément et sans précision, quod non expressius illustriusque scripserit. Et les commentateurs ont encore épaissi les ténèbres. Revenant ensuite à la question des principes de la nature, il nie carrément l’existence de la matière première, en faisant remarquer que la nature se montre en général économe, au rebours de la métaphysique, qui multiplie follement les entités. Si elle existait, cette matière première, elle aurait un être indépendant de celui de la forme ; et la forme, c’est-à-dire l’âme raisonnable, existant aussi par elle-même, il y aurait la matière sans la forme, et la forme sans la matière. Et que deviendrait alors l’axiome suivant lequel la forme se tire de la puissance de la matière ? Entrant ensuite en plein sujet, il montre que la matière ne peut être dite la puissance de la forme ; et comme il traite de métaphysique pure, les mots cause, accidents, substance, être, essence, existence, prédicat, et autres semblables, émaillent la dissertation. Au fond de ce chaos qu’il s’efforce de débrouiller, il n’y a qu’une question de nomenclature et de grammaire. Des fantômes ont pris corps, et les métaphysiciens ont cru à la réalité de ces ombres. L’eau n’est pas blanche sans la blancheur, ni froide sans la froideur : l’attribut de la substance engendrait une autre substance imaginaire. C’est ainsi que le polythéisme métaphysique s’imposait comme une religion positive. À force de subtilités, les créateurs d’essences rivalisaient avec la toute-puissance divine, qui de rien avait fait le monde. Tel était le réaliste, ainsi nommé quod multas fingat quæ non sunt res. L’idée de Dieu a donné l’être à de nombreux riens. Dieu concourt à l’ensemble des phénomènes uniquement comme cause universelle, Deo ut universa tantum causa concurrente. Ce n’est pas Dieu qui éclaire le monde ; il laisse ce soin au soleil, malgré sa toute-puissance. De même Dieu aurait pu donner la perception à l’homme sans les organes spéciaux des sens ; mais il ne l’a pas voulu, pas plus qu’il n’a donné l’intelli-