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GUARDIA.philosophes espagnols

s’il est vrai que la continuité se fait par différence ou par identité. C’est un problème capital en physique et en biologie. S’il n’a pas été le premier à le soulever, il a montré le premier combien la solution en est importante, en comparant la continuité et la contiguïté, et en insistant sur la différence. Le débat est ouvert depuis que la théorie des atomes a débuté avec Leucippe et Démocrite. Toute la physique d’Épicure, reprise par Lucrèce, en dépend. Atomes et pores ; plein et vide ; mouvement des molécules et des mondes ; évolution des infiniment petits et des infiniment grands ; espace et matière : voilà, en somme, le fond du poème de la Nature des choses. Il sagit de savoir s’il y a continuité ou contiguïté, en autres termes, si les molécules insécables se touchent immédiatement, sans intervalle, ou si elles sont distinctes, isolées, indépendantes, groupées par attraction, ou éloignées par répulsion.

L’antithèse d’Empédocle est la formule de la doctrine des atomes et de la physique générale.

On voit que Gomez Pereira se plaît systématiquement à faire naître les incidents, à proliférer, pourrait-on dire ; car il procède comme la nature dans la formation des organismes et des mondes. C’est ainsi qu’il varie la trame de ce tissu qu’il déroule habilement en ourdisseur expert, sans embrouiller les fils de la chaîne. Linfinie curiosité de l’auteur provoque et soutient celle du lecteur. Le fleuve descend le courant, grossi de maints affluents, selon la méthode la moins artificielle. Deux colonnes sont consacrées à la discussion. Il lui semble qu’il ne peut y avoir continuité que de choses pareilles, et non de choses différentes. La démonstration qui suit défie l’analyse, tant la subtilité est raffinée. C’est un terrible contrôleur que ce critique de la philosophie. Toute la monnaie de la pensée lui passe par les mains ; il fait sonner toutes les pièces et les pèse au trébuchet. Par l’esprit comme par les procédés de sa critique savante, pénétrante et dissolvante, il rappelle beaucoup le pyrrhonisme de P. Bayle.

Les parties d’un tout continu, de quelque nom qu’on les appelle, sont continues et unies, elles forment l’unité. Revenant au point géométrique, il conclut ainsi : Du commencement à la fin, d’un bout à l’autre, le point est inséparable du corps : mais, par une vue de l’esprit, il est considéré comme distinct. Ce nominaliste décidé ne veut point l’ombre sans le corps ; il ne lâche pas la réalité, tant il se défie de la métaphysique platonicienne et réaliste.

Il s’agit maintenant d’établir la différence entre la continuité et la contiguïté. Sa mémoire ne lui rappelle aucun effort sérieux, aucun essai satisfaisant sur ce sujet presque tout neuf. Il se risque donc à penser par lui-même, avec la confiance que lui inspire sa