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A. FOUILLÉE.le sentiment de l’effort

notion de force proprement dite, d’efficacité, d’action, d’effort, pour y substituer des symboles de mouvements dans l’espace. On obtient ainsi un monde abstrait de fantômes, un songe bien lié ; la physique mathématique s’absorbe dans un idéalisme où la matière s’est évanouie en relations et, pour ainsi dire, immatérialisée. Mais la psychologie ne peut procéder de la même manière, quoique on l’y invite : elle ne peut faire abstraction du fond vivant et actif. Seulement, cette activité dont nous avons la conscience permanente au milieu même de nos changements, et qui fait que nous nous sentons vivre, nous ne pouvons nous la représenter elle-même sous une forme directe et distincte, qui lui soit adéquate ; nous ne pouvons nous en faire ni une image, ni une idée déterminée, sinon dans son application à des résistances sensitives, où elle devient tel ou tel effort. C’est que l’action, étant la part du sujet même en tant qu’il concourt comme facteur à la production d’un phénomène, est toute subjective de sa nature et, en conséquence, doit échapper à la représentation proprement dite. La représentation est toujours, en elle-même, quelque sensation ou quelque ensemble de sensations affaiblies, elle est une image et un résidu d’impressions reçues et subies passivement ; vouloir se représenter objectivement l’action subjective, c’est donc vouloir se représenter l’activité sous les formes de la passivité. Le plaisir et la douleur eux-mêmes, en un mot les sentiments, dans ce qu’ils ont de proprement subjectif, échappent à la représentation intellectuelle. Quand vous croyez vous représenter le mal de dents, ce que vous vous représentez, outre les mots de mal de dents, ce sont les dents, le trajet de la douleur à travers les dents, tous les rapports plus ou moins précis de cette douleur à l’espace et au temps, ses associations avec telles idées ou images ; mais, pour vous représenter la douleur en elle-même, il n’y a qu’un moyen : la renouveler, l’éprouver de nouveau à son degré initial. Le fond subjectif et caractéristique du sentiment n’est donc pas objet d’intellection ni même de représentation ; il n’en existe pas moins très certainement, c’est même ce fond qui constitue proprement le plaisir ou la peine et qui, dans telles associations représentables, devient tel plaisir, telle peine, représentable elle-même par son cadre plutôt que par son contenu. À plus forte raison l’activité, qui est présente au fond du plaisir et de la peine comme exertion vitale favorisée ou contrariée, échappe-t-elle par sa nature profondément subjective à l’objectivation. On se représente seulement le cadre de l’action, son milieu, ses effets, ses associations de toutes sortes avec des impressions sensitives de résistance ou de concours ; en un mot, on se représente l’action incorporée dans un ensemble concret de sen-