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qui corresponde non plus à une sensation, mais à l’émotion et à la motion, sans même que le mouvement soit encore, par l’intermédiaire des muscles, descendu dans les membres ? L’absence d’un pareil mode de conscience ne s’expliquerait que si la décharge motrice ne produisait aucun contraste dans la conscience, car la condition de la conscience distincte est le contraste ; mais nous avons conscience du contraste d’arrivée dans les courants centrifuges ; nous devons donc avoir conscience du contraste de départ qui est souvent aussi tranché et même davantage. Le passage d’une force de tension considérable à une dépense soudaine produit nécessairement dans la cénesthésie une soudaine rupture d’équilibre. Il est probable que, chez l’animal lui-même, quelque sentiment particulier l’avertit de sa réaction propre. Quand la torpille décharge son électricité pour foudroyer son ennemi, il est vraisemblable que le passage de l’équilibre à la rupture d’équilibre et à la décharge produit un contraste intérieur assez fort pour être sensible.

La réaction cérébrale ne commence donc pas avec la réaction musculaire ; elle existe déjà dans la sensation même, elle existe dans la perception. Elle n’est pas moins nécessaire pour l’idéation. Aussi le sentiment d’énergie déployée, le sentiment de force et de travail est inhérent à toute idée et contribue à en faire une idée-force. En pensant, vous évoquez soit des images, soit des mots, soit les deux ensemble ; comment le faire sans un travail mécanique dont vous avez le sentiment confus ? Ce sentiment s’exprime dans les phrases de ce genre « Je sens que mon cerveau travaille, je sens que ma tête s’échauffe, j’ai la tête en feu, je me casse la tête » ; tout cela est vrai au pied de la lettre. L’idéation est un travail mécanique en même temps qu’intellectuel ; l’idée implique une force en travail. Se représenter une figure de géométrie ou la tracer sur le papier, c’est toujours mouvoir, et il est même plus fatigant de tracer des figures dans sa tête que de les tracer sur le tableau ; la tête s’use plus vite que le tableau. Aux partisans de l’effort musculaire nous concédons que, pendant le travail de la pensée, il y a toujours du travail musculaire, surtout quand on pense avec des mots, c’est-à-dire avec des articulations vocales ; mais ce qui n’est pas moins incontestable, c’est qu’il y a, sous la pensée, du travail nerveux, conséquemment des décharges cérébrales qui font passer le mouvement de tension à un mouvement de détente. Le tout se traduit dans la conscience par le sentiment d’activité intellectuelle et de travail cérébral, suivi du sentiment de fatigue intellectuelle et cérébrale, non moins familier que le sentiment de fatigue musculaire. Dès lors, demanderons-nous aux physiologistes, tout cela est-il afférent ou efférent, ou les deux à la fois ? Ces