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nous, c’est que l’innervation est presque toujours accompagnée de quelque mouvement dans quelque groupe de muscles, alors même que nous ne nous en apercevons pas. Nous irons même plus loin encore. Nous croyons pour notre part — quoique le fait ne soit pas physiologiquement démontré — que toute innervation cérébrale, quelle qu’elle soit, retentit sur un groupe quelconque de muscles, et même, à un degré plus ou moins faible, finit par intéresser tous les muscles, tendant les uns, relâchant les autres. Il y a une solidarité trop grande entre le système nervo-musculaire et le cerveau pour que tout travail cérébral ne s’exprime pas finalement dans les muscles. Impossible de faire aux partisans de l’effort musculaire une plus large concession ; mais, quelque large qu’elle soit, elle n’implique en rien que le sentiment de l’effort soit uniquement musculaire. Cette conséquence ne peut être ni déduite ni induite des faits qui précèdent.

Les preuves apportées par MM. Gley, Bloch, Bastian, ne nous paraissent pas plus décisives. M. Bloch, derrière un paravent, cherche à poser symétriquement les deux mains sur des papiers quadrillés et marque au fusain les points qui lui semblent correspondants. Il se fait ensuite soutenir un des bras par un aide, puis place l’autre bras dans la position qui lui semble symétrique avec celle du bras passif ; or, les tracés obtenus sont semblables dans les deux cas. De là il conclut que les sensations cutanées et articulaires paraissent suffire à nous indiquer la position d’une partie du corps et que les sensations musculaires jouent ici un rôle peu important. On voit donc qu’il s’agit uniquement d’une question de localisation. De même l’hémianesthésique gauche perd le sentiment de la position qu’on donne à sa main gauche ; donc, ici encore, la localisation est due surtout à la peau. M. Gley, qui cite ces expériences, toutes relatives à la localisation, généralise outre mesure et conclut que le sens d’énergie déployée n’existe pas. Plusieurs cas qu’il cite lui-même sont cependant la réfutation de cette thèse. La malade de Demeaux, atteinte d’hémianesthésie complète, mettait ses muscles enjeu sous l’influence de sa volonté, mais elle n’avait plus conscience des mouvements qu’elle exécutait : elle ne savait pas quelle était la position de son bras. — Donc, dirons-nous, elle avait un sentiment quelconque d’énergie déployée, mais elle n’était pas avertie du résultat effectué en dehors de cette énergie centrifuge par ses membres mêmes, car elle ne pouvait plus localiser leurs positions au moyen de sensations afférentes. Cet exemple est la meilleure réfutation de la thèse soutenue par M. Gley.

Bastian n’est pas plus rigoureux dans les conclusions qu’il tire