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l’alliance de la science naturelle (l’Erfahrung, l’expérience de Kant) avec la philosophie transcendantale (c’est-à-dire, dans la terminologie kantienne, dépassant l’expérience, au contraire du transcendant, qui est l’inconnaissable). Donc, par rapport au comtisme, le monisme repousse l’inconnaissable, sort de « l’entre-deux », et veut être un positivisme vrai. Il repousse, par définition, la métaphysique ontologique, c’est-à-dire le dualisme, dernier reste du surnaturalisme théologique.

A un certain point de vue, il semble que tous nos systèmes aient leur origine dans une critique particulière du concept de causalité. Pour M. P. C., la cause est « un changement dans l’état des choses », l’effet est « un nouvel arrangement des choses ». La cause, Ursache en allemand, n’est pas la loi, Grund. Par la loi, nous expliquons comment la cause agit. Or, matérialistes et spiritualistes laissent la cause en dehors ; le monisme, au contraire, la déclare immanente. La notion de « forme » devient ici très importante. La personnalité de l’homme, par exemple, n’est pas la somme des atomes qui le composent, elle est la forme sous laquelle les atomes se sont groupés. Forme et mutabilité de la forme, telles sont les conditions de l’évolution.

La nature est donc vivante aussi ? Elle ne l’est qu’au sens large. La spontanéité est inhérente à la matière, force nous est de l’accepter, et la mécanique ne saurait, en aucun cas, expliquer l’existence du mouvement. Mais la vie proprement dite, la vie psychique, est limitée aux êtres organisés. Ainsi le monisme reconnaît que la nature est vivante, sans retourner pour cela à la vieille mythologie.

Le monisme repousse l’agnosticisme, quoiqu’il ne distingue plus l’inconnaissable du connaissable. Autre était la distinction, faite par Kant, du noumène et du phénomène : le noumène était la chose pensée, le phénomène la chose perçue. Les monistes se défont du spectre de l’absolu, et ils considèrent tout procès naturel comme un aspect de l’existence entière et indivisible de l’univers. Comte, Spencer, Huxley, sont des agnostiques au même titre. Spencer n’a pas dépassé Comte, il accepte un inconnaissable qui serait au delà des faits, et il reste ainsi un des derniers tenants de l’ancien dualisme.

Entre l’idéalisme et le réalisme, entre la vue subjective et la vue objective du monde, on pourra jeter un pont, en considérant que le sujet pensant est un objet lui-même parmi d’autres objets. La liberté enfin pourra être conciliée avec le déterminisme, si l’on veut bien voir que la nécessité à laquelle nous obéissons ne vient pas du dehors, mais du dedans, qu’elle est l’expression de notre caractère, de la spontanéité inhérente à chacun des êtres.

En résumé, la doctrine de M. P. C., en philosophie théorique, est le monisme ; en philosophie pratique, le méliorisme. Sur ces quelques traits, et d’après les analyses précédemment faites ici, le lecteur pourra s’en former une idée assez exacte ; il ne sera pas dispensé de voir les détails et de lire l’œuvre elle-même.

Lucien Arréat.