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de rétablissement, dans nos cas, le désordre de la mémoire se montrait, non comme une amnésie complète, c’est-à-dire une absence de la mémoire, mais comme un affaiblissement : les impressions étaient retenues, mais pour les reproduire il fallait des efforts particuliers ; le malade croyait parfois qu’il ne se rappelait plus rien de ce qu’il avait éprouvé antérieurement, et, cependant, en recourant à certaines précautions, attendant qu’une impression fortuite vînt rappeler à l’activité le groupe d’éléments nerveux qui conservait la trace de ce qu’il croyait oublié, il se souvenait tout à coup du passé avec plus ou moins de détails. Le cerveau du malade gardait la trace des impressions vécues, mais elles étaient si bien cachées que l’impulsion ne pouvait y parvenir par les voies communes. Qu’est-ce que cela prouve ? Que la faculté de reproduction était fortement troublée, et ce n’est pas parce que les traces n’étaient pas en état d’être excitées avec assez d’intensité pour donner des images conscientes, mais parce que les voies du flux nerveux à ces traces étaient rendues difficiles. Les voies intactes qui associaient différents groupes d’images paraissaient peu nombreuses et c’est pour cela qu’il était difficile d’y parvenir. Cette particularité s’explique donc par l’état morbide des voies d’association.

Dans cet état les traces elles-mêmes paraissaient assez bien fixées, chose qui se faisait voir parce que, lorsque l’excitation y parvenait, elles étaient reproduites et reparaissaient dans la conscience. Mais dans les périodes graves, nous avons vu que ces traces ne pouvaient plus être rendues conscientes : l’homme avait beau faire, il ne pouvait se souvenir de rien ; même lorsque l’impression se répétait ponctuellement (ce qui est la voie la plus facile du souvenir), le souvenir ne se reproduisait pas. Dans cet état la faculté de reproduction n’est pas affaiblie, elle n’existe plus. Mais en même temps nous avons vu reproduire un fait étrange : tout ce qui avait été perçu avant une certaine époque était rappelé, reproduit ; ce qui avait eu lieu après, ne l’était pas. D’où vient cette différence ? Si c’était seulement un désordre de la faculté de reproduction, il aurait dû, ce semble, s’étendre également aux impressions antérieures. Pourquoi les traces antérieures se reproduisirent-elles, et les récentes non ? On pourrait croire qu’il n’existe pas de traces des impressions nouvelles. Mais nous avons vu qu’elles existaient, puisque le malade, au bout d’un an ou deux, se rappelait ce qu’il avait perçu alors. Il y a donc des traces, mais il est évident qu’il y a une différence essentielle entre la condition de leur conservation et celle de la conservation de la trace des impressions antérieures, et de plus il est évident que ces conditions ont dû changer dans le cours de la maladie, parce que ce qui