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KORSAKOFF.des maladies de la mémoire

mémoire, mais, parmi elles, comme nous l’avons dit, la mémoire des émotions et des sentiments était conservée (la mémoire des sens subsiste pour la plus grande partie), ce qui s’accorde avec l’opinion de M. Ribot. Également nous voyons de l’accord avec ses conclusions dans le fait que la faculté de localisation dans le temps a été troublée si longtemps. Le souvenir des images des objets extérieurs s’est conservé plus longtemps que le souvenir des procès intellectuels qui avaient lieu dans le cerveau du malade.

Cette gradation dans la force de résistance des différents groupes d’images a été expliquée, autant que c’est possible, par M. Ribot, et mes observations ne peuvent que confirmer ses conclusions.

Je vais m’occuper d’un autre côté des désordres de la mémoire et d’abord je veux m’arrêter sur la question de savoir quel genre de mémoire est le plus troublé dans tous nos cas. Comme on le sait, ce que nous appelons mémoire, c’est-à-dire la faculté de reproduire les impressions reçues, est due : 1o à la faculté des éléments nerveux de garder la trace des impressions reçues (mémoire de fixation) et 2o à la propriété de reproduire ces traces (mémoire d’évocation). On se demande alors laquelle de ces deux espèces est dérangée ? MM. Richet, Rouillard, Ball et d’autres médecins affirment que le système nerveux de l’homme est organisé de manière à conserver même les impressions les plus minimes qu’elle reçoit. Rouillard s’exprime ainsi[1] : « La mémoire conserve éternellement les impressions reçues. Si certains faits paraissent être sortis de la mémoire, il n’en est rien : tant que les cellules nerveuses n’ont pas été détruites, elles ont gardé la faculté de conserver le souvenir d’un fait ; ce qui est perdu, momentanément du reste, c’est la faculté de reproduire. » Il s’ensuit que le plus souvent l’amnésie est due, non à la perte de la faculté de fixer les impressions, mais à la perte de la faculté de les reproduire. Mais ordinairement il nous est très difficile de juger si la trace des impressions s’est conservée ; en effet, si la faculté de reproduire est troublée, nous ne pouvons plus savoir si les traces sont restées ou si elles se sont effacées. C’est pourquoi tous les cas où l’on peut prouver que dans les désordres de mémoire la faculté de fixation est vraiment restée, sont intéressants pour un psychologue. Sous ce rapport nos observations sont très édifiantes. Nous avons vu, dans un cas, que lorsque le malade paraissait tout oublier, cependant les impressions qu’il recevait et qui paraissaient s’effacer au même instant de sa mémoire, laissaient une trace dans son système nerveux, et, plus

  1. Rouillard, Essai sur les amnésies. Thèse, Paris, 1885, page 28.